Après avoir diligenté plusieurs audits, un célèbre éditeur de produits logiciels s’est vu rejeter par les titulaires de licences les demandes de régularisation qui en ont découlé.
Il a donc décidé de porter les affaires en justice, considérant que ses clients outrepassaient leurs droits acquis en vertu des contrats de licences en vigueur.
C’est dans ce contexte que deux décisions sont venues remettre en question sans ménagement certaines pratiques en matière d’audit contractuel de licences.
La première décision (1), rendue en référé, apporte de précieux enseignements relatifs aux outils de mesure des utilisations d’un logiciel licencié par un client.
Outils de mesure. Le juge rejette la demande de l’éditeur visant à ordonner, sous astreinte, l’exécution de scripts sur le système d’information du client en considérant que les pouvoirs dont il dispose en vertu des articles 145 du Code de procédure civile et L.332-1-1 du Code de la propriété intellectuelle ne lui permettent pas d’ordonner une telle mesure.
Expertise judiciaire. En revanche, et compte tenu de la probabilité démontrée d’un écart entre le nombre de licences acquises et leur utilisation réelle, la demande d’expertise judiciaire de l’éditeur est considérée comme légitime et donc accueillie. Il appartiendra le cas échant à l’expert désigné par le tribunal d’inviter le client à passer ces scripts, après avoir pris les précautions nécessaires pour garantir la continuité de fonctionnement du système d’information de l’audité, et la confidentialité des informations recueillies non indispensables à sa mission.
Obligation de coopération. Le tribunal affirme également que l’éditeur ne démontrait, ni même alléguait l’existence d’une obligation contractuelle d’exécution de ces outils informatiques de collecte d’information. Il n’en faut pas moins pour apercevoir dans cette décision les premiers contours d’un principe de continuité du système d’information et de confidentialité des données stratégiques comme limite à l’obligation contractuelle de coopérer à un audit…
Dans la seconde affaire (2), ce même éditeur a, suite à plusieurs audits et tentatives de rapprochement amiable infructueuses, assigné son client sur le terrain notamment de la contrefaçon. Il sollicitait dans ce cadre la condamnation de ce dernier à lui verser plus de 10 millions d’euros pour utilisation non autorisée de logiciels et de services de support associés.
Propriété matérielle et incorporelle. La juridiction, statuant au fond, relève tout d’abord que le logiciel en question avait été livré par l’éditeur suite à la commande d’une solution globale par le client. Après avoir préféré la qualification contractuelle à celle de contrefaçon, le tribunal conclut, aux termes d’une motivation surprenante (3), que l’éditeur ne pouvait pas légitimement soutenir que le logiciel n’était pas inclu dans le périmètre du contrat de licence et rejette ses demandes.
L’utilisation d’un logiciel hors du périmètre du contrat ne peut donc faire l’objet d’une action en contrefaçon, mais seulement d’une action en responsabilité contractuelle. Cependant, le tribunal mentionne explicitement le fait que l’éditeur ne soutenait pas que le client ait « utilisé un logiciel cracké ou implanté seul un logiciel non fourni », ni même que le nombre de licences ne correspondait pas au nombre d’utilisateurs effectifs du logiciel. Dans ces hypothèses, la question majeure de la qualification de contrefaçon ou de manquement contractuel reste donc entière…
Abus de droit d’audit. Le tribunal affirme enfin que la pratique consistant à multiplier des audits à des fins de pression commerciale fait dégénérer ce droit en abus sans pour autant condamner l’éditeur, faute pour le client de démontrer le préjudice en découlant.
La décision fait l’objet d’un appel.
L’issue de l’expertise diligentée dans le cadre de la première décision ainsi que les suites de l’appel interjeté de la seconde devront donc être suivis de très près.
Encadrement et pilotage des audits. Les procédures d’audits mettent à rude épreuve les rapports commerciaux et contractuels clients/fournisseurs.
C’est pourquoi une attention toute particulière doit être prêtée à la définition en amont du cadre et des modalités de mis en œuvre de ces procédures afin de garantir, tant la protection des actifs immatériels de l’éditeur que la préservation des intérêts légitimes des clients audités.
Ainsi, les clauses d’audit insérées dans les contrats de licence préciseront dans la mesure du possible :
- la fréquence des audits pouvant être diligentés ;
- les outils susceptibles d’être utilisés lors de l’audit ;
- les engagements de confidentialité ;
- les limites de l’audit tenant notamment à l’absence de perturbation excessive du fonctionnement normal de l’entreprise auditée.
Enfin, une approche collaborative, formalisée par l’acceptation conjointe d’un accord en démarrage d’audit, facilitera d’autant son déroulement qu’elle déterminera un phasage technico-juridique précis de celui-ci (inventaire contractuel, référentiel des métriques, réalisation des mesures, analyse conjointe des résultats puis clôture de l’audit).
Marie Soulez
Nicolas Dubospertus
Lexing Contentieux Propriété intellectuelle
(1) TGI Nanterre réf. 12-6-2014, Oracle Corp., Oracle France c/ Carrefour Org. et Systèmes Gpe.
(2) TGI Paris 3e ch. 1e sect. 6-11-2014, Oracle Corp., Oracle Fce c/ AFPA.
(3) Lire un précédent Post du 6-2-2015.