Une personne morale ne saurait avoir la qualité d’auteur, tel est le principe affirmé avec la plus grande fermeté par la Cour de cassation dans une décision du 15 janvier 2015 à propos d’un conflit concernant la propriété intellectuelle d’un logiciel.
Le conflit opposait deux personnes (l’une professeur de médecine, l’autre informaticien et gérant de deux sociétés spécialisées dans l’informatique) qui avaient fondé ensemble une société d’édition de logiciel en vue de réaliser un logiciel d’analyse céphalométrique, basé sur les travaux du professeur. A la suite de dissensions survenues entre ces deux personnes quant à la propriété du logiciel, les deux sociétés gérées par l’informaticien ont commercialisé deux logiciels quasi identiques.
La société d’édition, dont le professeur de médecine était devenu le gérant majoritaire, a alors assigné ces deux sociétés en justice pour leur faire interdiction d’exploiter les logiciels issus de ce logiciel, dont elle revendiquait les droits d’auteur.
La Cour d’appel de Rennes a jugé que la société créée par le professeur et par l’informaticien était effectivement le seul auteur de l’œuvre collective que constituait le logiciel, et a fait droit à sa demande. La Cour d’appel a fondé sa décision sur le fait que le développement du logiciel était le fruit du travail des deux associés de la société. Cette décision a été cassée par la Cour de cassation, énonçant dans un attendu lapidaire « qu’une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur ».
A la lecture de la décision, il est difficile de savoir si la Cour suprême a simplement voulu sanctionner une confusion entre titularité des droits d’auteur et qualité d’auteur, ou s’il faut y voir une remise en cause de la jurisprudence rendue au visa de l’article L 113-5 du Code la propriété intellectuelle, qui présume titulaire des droits d’auteurs une personne morale exploitant une œuvre sous son nom, qu’il s’agisse ou non d’une œuvre collective.
En effet, la Cour d’appel avait également raisonné sur le terrain de la présomption de titularité des droits sur le logiciel, et relevé à cet égard que la société en question l’avait exploité publiquement. Il est dès lors permis de s’interroger sur la portée de la décision de la Cour suprême.
Dans le premier cas, la sanction peut paraître sévère pour ce qui semble être plus une maladresse de rédaction qu’une erreur de droit. Mais il est vrai que le principe suivant lequel seule une personne physique peut faire œuvre de création, et en conséquence avoir la qualité d’auteur, fait partie des fondamentaux du droit de la propriété intellectuelle. Si une personne morale peut dès l’origine être investie des droits d’auteur (notamment dans le cas d’une œuvre collective, ou d’un logiciel créé par des salariés) elle n’a jamais pour autant la qualité d’auteur.
La seconde hypothèse serait beaucoup plus lourde de conséquences, car elle permettrait aux tiers contrefacteurs de contester la titularité du droit d’auteur des personnes morales exploitant sous leur nom, et obligerait donc celles-ci à en justifier. Les droits de propriété intellectuelle de personnes morales se trouveraient ainsi grandement fragilisés.
Il convient d’être attentif aux prochaines décisions en la matière. Mais en toute hypothèse, cette décision confirme l’importance de gérer contractuellement les droits de propriété intellectuelle au sein des entreprises. S’agissant en particulier des logiciels, la règle posée par l’article L 113-9 du Code la propriété intellectuelle, prévoyant la dévolution des droits d’exploitation au profit de l’employeur, ne s’applique qu’aux employés stricto sensu. Elle est inopposable aux actionnaires, fondateurs, dirigeants non-salariés des sociétés, avec lesquels il est impératif de conclure un contrat pour préserver le patrimoine intellectuel des entreprises.
Laurence Tellier-Loniewski
Lexing Droit Propriété intellectuelle