S’agissant de matériels complexes et sophistiqués, l’obligation de délivrance du vendeur ne se cantonne pas à la simple livraison matérielle de la chose vendue mais s’étend à sa mise au point effective.
Un arrêt du 10 février 2015 rendu par la Cour de cassation rappelle quelques règles. A l’origine de cette affaire, un contrat de crédit-bail portant sur un tour CNC. Après la réception de l’objet et la signature, sans réserve, du procès-verbal de réception par le locataire, ce dernier arrête de payer les loyers au motif que l’objet livré n’est pas conforme aux exigences contractuelles.
Le locataire assigne donc le fournisseur et le bailleur en résolution du contrat de vente et du contrat de crédit-bail sur le fondement de la violation, par le fournisseur, de son l’obligation de délivrance prévue à l’article 1604 du Code civil.
La Cour d’appel de Paris prononce la résolution du contrat de vente conclu entre le fournisseur et le bailleur. Elle estime, en effet, qu’en dépit de la valeur contractuellement conférée au procès-verbal de réception, à savoir la reconnaissance de la bonne réception et de la conformité du matériel vendu par le locataire, le caractère complexe et sophistiqué du matériel livré empêche que la signature sans réserve dudit procès-verbal suffise à satisfaire l’obligation de délivrance qui pesait sur le fournisseur et qui ne se limitait pas à la simple remise matérielle de la chose.
Le fournisseur se pourvoit en cassation arguant notamment du fait que le refus d’admettre que l’établissement du procès-verbal de réception, attestant pourtant de la livraison matérielle de la chose vendue ainsi que de sa conformité aux exigences contractuelles, suffit à rapporter la preuve de l’exécution de son obligation de délivrance par le fournisseur constitue une violation de l’article 1604 du Code civil.
La Cour de cassation rejette le pourvoi estimant, à l’instar de la Cour d’appel, que « l’obligation de délivrance de machines complexes n’est pleinement exécutée qu’une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue » et que, dans ce contexte, l’établissement du procès-verbal de réception ne « suffisait pas à rapporter la preuve de l’exécution de l’obligation de délivrance », mais permettait uniquement le départ du contrat de crédit-bail.
La Cour de cassation confirme ici une solution jurisprudentielle déjà établie selon laquelle la délivrance d’une chose complexe par son vendeur ne consiste pas en sa simple livraison matérielle.
Les juges suprêmes rappellent ainsi, dans la présente décision, que s’agissant de produits complexes « il ne peut suffire que le fournisseur livre les éléments matériels commandés, visés par le procès-verbal de réception, mais qu’il importe que soit établie l’effectivité de la mise en route (…) ».
Ainsi, l’obligation de délivrance pesant sur le vendeur de produits complexes s’apprécie concrètement à l’issue de plusieurs phases en ce qu’elle comprend, outre la livraison matérielle du produit vendu, la délivrance des accessoires nécessaires à son fonctionnement, ce qui recouvre ainsi son installation et sa mise en service, voire même la formation de ses futurs utilisateurs.
Par analogie, cette solution, rendue à propos d’un contrat de vente, peut être étendue aux contrats d’entreprise ; la satisfaction de l’obligation de délivrance du prestataire d’un service complexe pourrait ainsi être subordonnée à des conditions de délivrance spécifiques, relatives à la mise en œuvre du service, qui devraient être constatées par un procès-verbal de vérification de service régulier (VSR) et non simplement par un procès-verbal de livraison.
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Armelle Fagette
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