Alain Bensoussan décrit le phénomène du big data dans une chronique « Paroles d’expert » pour le groupe Cegid (Compagnie Européenne de Gestion par l’Informatique Décentralisée).
Qu’est-ce que le big data, une mode, une mutation technologique, un cadre légal en devenir ? Au-delà de ces questions, il y a la problématique des données nominatives et la question de la propriété des données non nominatives.
Le Big data n’est pas qu’un simple sujet technologique : son essor soulève toute une série d’interrogations d’ordre juridique. La grande question, c’est : est-on face à un changement de paradigme ? Ou alors, le droit de l’informatique peut-il s’appliquer sans aucune difficulté ?
Eh bien la réponse, c’est que nous sommes bel et bien dans un changement de paradigme. Il y aurait déjà beaucoup à dire sur les règles particulières à mettre en place en matière de collecte, de sécurité ou d’informations des personnes. Mais le grand hiatus entre l’économie et le droit se situe dans l’exploitation de ces données et notamment les données implicites, ce que l’on appelle aussi l’analyse comportementale.
La rupture se situe clairement là car il s’agit d’éléments de prédiction des comportements. Aujourd’hui, cette prédiction est soumise à la Loi informatique et liberté. En principe, chaque individu a le droit de connaître les profils et les comportements qui lui ont été attribués, à vocation émotionnelle ou économique. Par exemple, une personne est-elle plutôt dépensière ou cigale ?
Beaucoup d’entreprises qui travaillent dans le domaine du Big data sont d’ores et déjà en situation de contradiction voire d’interdiction. La liberté d’usage dont ils croient disposer vient en effet percuter plusieurs droits fondamentaux, comme le Droit à l’anonymat ou encore le Droit à la vie privée numérique.
Sur cette question du Droit à la vie privée numérique, il faut bien avoir en tête que toutes données recueillies par les outils de géolocalisation ou encore des objets connectés, lorsqu’elles sont rassemblées et corrélées, débouchent sur un concentré d’émotion et d’intimité qui risquent d’entrer en contraction avec la notion de vie privée. Avec le Big data, il suffit de plaquer un comportement initial vers la cible comportementale pour connaître la personne sans l’identifier. Plus besoin de connaître le nom : c’est de l’anonymat personnalisé. On est dans un changement de paradigme et l’obligation de revoir les textes.
C’est pourquoi on va assister à l’émergence d’un droit au comportement. Il va falloir définir de nouvelles règles du jeu. Je m’explique.
Aujourd’hui, lorsque une entreprise essaie d’amener le consommateur à une prise de décision, via la publicité par exemple, celui-ci perçoit qu’il subit une certaine incitation. Lorsque cette même entreprise utilise ses informations, historique d’achat par exemple ou analyse des corrélations, pour prédire son comportement, la situation est différente pour l’individu. Il croit faire un acte autonome en choisissant le produit qui lui est proposé, alors qu’il est en quelque sorte poussé à l’action.
C’est un vrai défi pour la démocratie et une interrogation pour les promoteurs du Big data. Alors quelle solution opérationnelle mettre en place ? Une piste qui me semble incontournable, c’est celle d’un commissaire aux données. Ce commissaire à la donnée certifierait une utilisation de la donnée conforme au droit. C’est exactement le modèle du commissaire au compte qui garantit que l’entreprise exprime bien un bilan en conformité avec le droit comptable.
Alain Bensoussan, « Nouveaux enjeux juridiques du Big Data », Cegid, juin 2015.