Face à l’utilisation croissante des adblockers, le modèle économique des éditeurs de contenus en ligne est mis à mal.
Dix ans après son lancement, Adblock Plus, le leader du marché, a atteint les 500 millions de téléchargements. Les adblockers sont des logiciels permettant aux internautes de bloquer l’affichage des publicités (bandeaux publicitaires, liens sponsorisés, fenêtres pop-up etc.) sur les sites web sur lesquels ils se rendent.
La plupart des solutions proposées sont des modules d’extension ajoutés au navigateur web de l’internaute. Il peut également s’agir de logiciels intégrés à l’offre de certains fournisseurs d’accès à internet. L’un des derniers petits nouveaux sur la place est le navigateur Brave dont le modèle économique est novateur en ce qu’il remplacera une partie des publicités par d’autres, qu’il aura lui-même choisies. Les revenus issus de ces publicités seront, de surcroît, partagés entre les éditeurs des sites sur lesquels elles apparaîtront et Brave.
Techniquement, les adblockers analysent le code source de la page web auquel l’internaute va accéder. Avant l’affichage de la page concernée, ils détectent les tags et scripts et suppriment la portion de code concernant les contenus publicitaires de sorte qu’ils ne soient pas restitués à l’écran.
Pour continuer à bénéficier des revenus de la publicité, les éditeurs de contenus peuvent demander à être inscrits sur une « liste blanche » dès lors qu’ils diffusent une publicité « acceptable » selon l’éditeur de l’adblocker et, éventuellement, en versant une contribution financière aux éditeurs des adblockers. Officiellement, seules les entités de grande taille doivent payer pour figurer sur cette liste et cela ne les dispense pas de satisfaire aux critères d’acceptabilité.
On récence plus de 200 millions d’utilisateurs des adblockers à travers le monde. Face à un tel essor et aux pertes de revenus publicitaires d’ores-et-déjà constatées par certains acteurs du marché, les éditeurs de contenus craignent une trop grande instabilité économique.
Une telle situation pourrait d’ailleurs mener à la remise en cause de la gratuité de l’accès de l’internaute au contenu jusque-là permise par la diffusion de ces publicités. Certains éditeurs ont d’ores et déjà riposté par exemple en n’autorisant l’accès à leur contenu par l’internaute uniquement, au choix, en désactivant leur logiciel d’adblockers ou en souscrivant un abonnement payant pour accéder au contenu sans publicité. D’autres ont développé des solutions plus pédagogiques invitant les internautes à inscrire leurs sites parmi ceux pour lesquels les publicités ne sont pas bloquées.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) s’est prononcée sur l’un de ces adblockers à l’occasion de conseils aux internautes concernant la traçabilité de leurs navigations web. La Cnil considère que des logiciels de ce type vont « au-delà de la protection de la vie privée » et bloquent systématiquement les publicités, y compris non personnalisées, avant qu’elles ne s’affichent dans le navigateur de l’internaute.
Or, ces publicités participent au financement des sites notamment ceux qui proposent des services gratuits pour l’utilisateur. Par conséquent, la Cnil ne recommande le recours à cette solution qu’en dernier recours.
Le Conseil de l’éthique publicitaire (CEP) a rendu un avis en septembre 2015 (1) concernant les adblockers en rappelant l’importance de l’éthique de la communication publicitaire qui dépend du respect de critères précis à savoir la participation des acteurs à l’élaboration des règles ou critères, la transparence, donc une diffusion large des règles, et leur effectivité, donc le contrôle de leur application.
Conscient des attentes des internautes comme de celles des professionnels, il demande que « la présentation, aujourd’hui biaisée, qui est faite par ces éditeurs de solutions logicielles, respecte les principes fondamentaux de loyauté, de transparence et de véracité, vis-à-vis des consommateurs, qui doivent être en mesure d’identifier ce qui a été filtré en dehors de leur libre arbitre ».
Enfin, il rappelle que « l’évitement de ces bloqueurs de publicité, ne doit pas pour autant faire oublier aux professionnels les principes déontologiques fondamentaux et historiques d’identification de la publicité et de l’annonceur, qui ne sauraient engendrer une confusion de l’émetteur d’une communication commerciale, avec une production d’auteurs ou de journalistes ».
D’un point de vue juridique, et plus particulièrement concernant la légalité de telles pratiques, si les juridictions françaises n’ont pas encore tranché la question, les juridictions allemandes se sont d’ores-et-déjà prononcées en faveur de la légalité des adblockers (2).
En cessant l’optimisation du revenu au détriment de l’expérience utilisateur, les éditeurs de contenus peuvent lutter de manière efficace contre les adblockers. Ceci doit passer par l’information et la sensibilisation des utilisateurs, mais aussi par le recours à une publicité plus responsable et éthique.
Céline Avignon
Anne Renard
Lexing Publicité et marketing électronique
(1) CEP, 14-9-2015, Avis « Blocages publicitaires : l’impasse »
(2) Tribunal de Hambourg, 21-4-2015 : Zeit Online et Handelsblatt vs Eyeo.
[Landsgericht Hamburg 16. Kammer für Handelssachen, Urteil vom 21.04.2015, 416 HKO 159/14 (Anonymisé) aus Justiz Portal Hamburg (Portail de la justice de Hambourg, Allemagne)]