Les interfaces neuronales directes sont également appelées interfaces cerveau-machine ou cerveau-ordinateur.
Il s’agit d’interfaces de communication directe entre le cerveau et un dispositif externe, sans qu’une transformation préalable du signal électrique émis par l’activité cérébrale en activité musculaire ne soit nécessaire.
Ces interfaces neuronales peuvent être invasives ou non invasives. Dans le domaine des jeux vidéo, des casques neuronaux fonctionnant à l’aide d’électrodes sont déjà en vente auprès du grand public. Les applications des interfaces neuronales permettent des progrès fulgurants dans le domaine médical, permettant notamment à des patients privés de motricité de contrôler des prothèses ou des robots ou de se déplacer à l’aide d’exosquelettes.
Les questions juridiques soulevées par l’utilisation d’interfaces neuronales sont nombreuses.
Concernant les interfaces neuronales invasives, se pose en premier lieu la question de leur licéité. Selon l’article 16-3 du Code civil, « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ». Il ne peut donc en principe être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’aux conditions cumulatives de nécessité médicale et de consentement de la personne. Qu’en est-il en cas d’absence de visée thérapeutique ? Dans certains cas, le consentement de la personne peut l’emporter, comme c’est le cas pour les interventions à but esthétique, mais l’obligation d’information du médecin est alors soumise à un régime d’autant plus rigoureux. Celle-ci doit porter sur les risques de l’intervention, mais aussi sur tous les inconvénients pouvant en résulter.
Les interfaces neuronales soulèvent également des interrogations plus larges liées à l’hybridation de l’homme et de la machine à des fins non médicales, au regard notamment des principes d’égalité et de non-discrimination, dans le cadre du débat sur le transhumanisme et l’homme augmenté. En effet, si les interfaces neuronales conduisent à une augmentation des performances humaines, elles pourraient engendrer une rupture d’égalité entre les individus implantés et les non-implantés.
Les applications dans le domaine de la Défense et de la Sécurité intérieure font notamment débat à l’heure où des exosquelettes ou autres dispositifs sont d’ores et déjà en test au sein des armées des grandes puissances militaires. L’agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA) finance une multitude de projets dans le domaine des interfaces neuronales, et a lancé en janvier 2016 le programme NESD (Neural Engineering System Design) visant à développer une interface neuronale implantable miniaturisée extrêmement performante, pour laquelle des investissements de près de 60 millions de dollars sur les quatre prochaine années sont prévus (1).
Le CREOGN (Centre de Recherche de l’Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale) a publié le 15 octobre 2015 une note sur les enjeux éthiques et juridiques de l’humain augmenté dans les politiques de Défense et de Sécurité intérieure (2). Cette note souligne l’importance d’une réflexion éthique et juridique organisée sur et autour de la primauté des droits et de la dignité de l’homme et la nécessité de définir un cadre concernant les questions touchant à l’amélioration opérationnelle des agents. Elle envisage notamment la création d’un organe consultatif d’éthique concernant les activités régaliennes accomplies par les éléments de la force publique, à l’image du Comité d’éthique du Centre national de la recherche scientifique ou le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE). Déjà en 2012, l’IRSEM publiait un rapport issu des travaux d’un groupe de travail sur la Réflexion sociétale sur les interfaces cerveau-machine pour l’homme et implications pour la Défense et qui soulignait la nécessité de poursuivre « la réflexion au sein du ministère de la Défense, au regard des évolutions des réponses sociétales, éthiques et juridiques, afin d’anticiper et d’orienter la prise de décision sur le développement de ces technologies » (3).
Les interfaces neuronales, invasives ou non, soulèvent également des questions sur le traitement et la sécurité des données à caractère personnel et en particulier de données de santé. L’activité électrique du cerveau d’un utilisateur d’interface neuronale pourrait en effet recevoir cette qualification. Ainsi, la mise en œuvre du traitement serait soumise au consentement de la personne et le responsable de traitement devrait déclarer celui-ci auprès de la Cnil. A défaut, une autorisation préalable par arrêté ou par décret après avis motivé de la Cnil serait nécessaire. Les exigences de sécurité des données imposées par la loi Informatique et libertés seraient applicables en tout état de cause.
D’autres questions se posent en termes de responsabilité, en cas par exemple de dommages causés par le dispositif auquel l’interface est reliée. En cas de défaut de fonctionnement de l’interface neuronale, comment distinguer la responsabilité de l’être humain de celle de la machine ?
Benoit de Roquefeuil
Katharina Berbett
Lexing Contentieux informatique
(1) Darpa, « Bridging the Bio-Electronic Divide« , 19-1-2016.
(2) CREOGN, note n°15.
(3) Irsem, laboratoire n°8-2012, Réflexions sociétales sur l’interface cerveau-machine.