Le code source d’un logiciel détenu par une administration est un document administratif communicable.
C’est ce qu’a jugé le 10 mars 2016 le Tribunal administratif de Paris au sujet du logiciel simulant le calcul de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Le tribunal a enjoint au ministre des Finances et des Comptes publics de communiquer au citoyen qui en avait fait la demande, le code source de ce logiciel sur le fondement de la loi 78-753 du 17 juillet 1978 qui a créé un droit d’accès individuel aux documents administratifs codifiée aux articles L. 300-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration (1).
La demande d’accès au code source. Dans cette affaire, un étudiant en économie avait demandé en 2014 à la Direction générale des finances publiques (DGFIP) la communication du code source du logiciel calculateur d’impôt.
Face au refus de la DGFIP, l’étudiant avait saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), commission chargée de rendre des avis sur le refus opposé par l’administration aux demandes de communication des particuliers, des entreprises ou des associations et de veiller au respect de la liberté d’accès aux documents administratifs.
Malgré un avis favorable de la Cada à la communication du code source (2), la DGFIP est toutefois restée silencieuse. L’étudiant a alors saisi la juridiction administrative.
Les fondements de l’accès au code source. Le 10 mars 2016, le Tribunal administratif de Paris rejette l’ensemble de l’argumentation du ministre des Finances et des Comptes publics.
Le ministre faisait valoir que la directive 2003/98/CE (3) sur la réutilisation des informations du secteur public, et sa transposition en droit interne, ne faisait pas rentrer les programmes informatiques dans la définition du terme « document » et que, par conséquent, l’affaire se situait hors du champ d’application de la loi du 17 juillet 1978.
Or, la juridiction administrative considère que les logiciels ne doivent pas être « systématiquement exclus du droit d’accès aux documents administratifs ».
Le tribunal rejette également la thèse du ministre quant au caractère inachevé du logiciel. Celui-ci s’appuyait sur l’article 2 de loi de 1978 (désormais article L. 311-2 du Code des relations entre le public et l’administration) qui dispose que le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés. Par conséquent, le ministre faisait valoir que les logiciels, étant « en perpétuelle évolution », présentaient un caractère inachevé et ainsi ne pouvaient être communiqués au public.
Si la juridiction administrative reconnait le « caractère évolutif » du logiciel, pour autant le « droit effectif à la communication des documents administratifs » ne saurait être supprimé. Ainsi, la juridiction administrative considère que « chaque version du code source d’un même programme informatique revêt le caractère de document administratif achevé et peut être communiqué dans cet état ».
Par conséquent, le tribunal juge que le code source d’un logiciel détenu par l’administration est un document administratif achevé communicable à toutes les personnes qui en font la demande et enjoint la communication du code source du logiciel.
La DGFIP a communiqué à l’intéressé le code source du logiciel avant même que le jugement du tribunal soit rendu.
L’ouverture des codes sources des logiciels de l’administration. Consciente de la tendance à l’ouverture des données et désireuse d’être un acteur de l’Open data, la DGFIP est allée plus loin en ouvrant le code source du calculateur d’impôt à tous, dans le cadre d’un hackathon : #CodeImpot (3).
Cette ouverture à tous du code source se fait « dans l’esprit de l’article 2 du projet de loi numérique ».
En effet, le projet de loi pour une République numérique -dans sa version adoptée par le Sénat le 3 mai 2016– a pour ambition d’ajouter à l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’administration, le code source parmi les éléments qui peuvent constituer des documents administratifs communicables (article 1er bis : « Constituent également de tels documents les codes-sources, à l’exception des codes-sources des personnes publiques ou privées chargées d’une mission de service public dans un secteur exposé à la concurrence »).
L’article 2 du projet de loi prévoit, quant à lui, un droit d’accès individualisé aux règles définissant un traitement algorithmique qui constitue le fondement de décisions individuelles, ainsi qu’un droit d’accès individualisé aux principales caractéristiques de sa mise en œuvre (4).
Par ailleurs, il est prévu à l’article 4 que certaines administrations « publient en ligne, dans un standard ouvert et aisément réutilisable, les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l’accomplissement de leurs missions lorsqu’ils fondent des décisions individuelles ». Les modalités d’application de cette disposition seront précisées par décret.
Le mouvement d’ouverture est en marche et s’applique en l’état des textes aux codes source des logiciels détenus par l’administration ; la loi prévoit toutefois une limitation à la divulgation des codes sources lorsque celle-ci porterait atteinte à la sécurité des systèmes d’informations des administrations.
Il conviendra par conséquent d’être attentif aux discussions finales sur ce projet de loi ainsi qu’à l’application par les administrations de ces dispositions et de leur limitation.
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Propriété intellectuelle
(1) Code des relations entre le public et l’administration.
(2) Avis CADA 2014-4578, séance du 8-1-2015. Voir « Le code source du logiciel de simulation de l’impôt est communicable« , Post du 9-3-2015.
(3) Directive 2003/98/CE du 17-11-2003.
(4) Projet de loi pour une République numérique, Dossier législatif