Quand le juge français est-il compétent pour connaître des dommages causés par un site internet étranger ?
Compétence territoriale. Le juge français est compétent s’il existe un lien significatif et suffisant entre l’activité de ce site et le public français et si ce site peut avoir un impact économique en France.
Cependant le demandeur à l’instance n’est pas recevable à soulever l’incompétence territoriale du tribunal qu’il a lui même saisi et pour des faits qu’il a lui-même reproché dans son assignation.
La théorie de l’orientation confirmée. La société Remec, défendeur, reprochait à la société Tecnokar Trailers, société italienne, demandeur, d’utiliser sa marque Remec sur le site italien www.tecnokar.it. Tecnokar Trailers soutenait que son site ne présentait pas de lien significatif et suffisant avec le public français et n’avait pas d’impact économique en France. Dès lors elle demandait à ce que le Tribunal de grande instance de Paris se déclare incompétent au profit du Tribunal de Spoleto lieu de son siège social.
Concernant la problématique de sa compétence territoriale, le tribunal a visé les articles 2-1 et 5-3 du règlement communautaire n°44/2001 (1), disposant qu’« une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre : (…) 3) En matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Il tire de ces visas le principe selon lequel « la juridiction française a compétence pour connaître du dommage causé par le site www.tecnokar.it (2) s’il existe un lien significatif et suffisant entre l’activité de ce site et le public en France, et si ce site peut avoir un impact économique en France » et relève que, dans le cas présent, le site étant à destination du public français la juridiction française est compétente.
Ce faisant, le tribunal confirme la théorie de l’orientation retenue par la Cour de cassation selon laquelle les juridictions doivent rechercher l’ensemble des critères permettant de déterminer que le site en question était bien orienté vers les internautes français, tels que la langue utilisée et la disponibilité pour ce public des produits vendus, pour fonder leur compétence territoriale pour réparer le préjudice subi localement (3).
Cependant si le tribunal rappelle la théorie de l’orientation concernant sa compétence il ne fonde pas le rejet de son incompétence sur ces moyens, mais utilise pour ce faire l’article 75 du Code de procédure civile (4).
L’impossibilité pour le demandeur de soulever l’incompétence territoriale du tribunal qu’il a lui-même saisi.
Dans ses conclusions en réplique, le défendeur faisait grief au demandeur d’avoir violé le contrat les liant. En réponse le demandeur demandait au tribunal de Paris de se déclarer incompétent puisque ledit contrat comportait une clause attributive de compétence au profit du tribunal de Spoleto.
Le tribunal rejette cet argument au motif que « le demandeur à l’instance n’est pas recevable à contester ultérieurement la compétence de la juridiction qu’il a lui-même saisi ».
En l’espèce, Tecnokar Trailer avait assigné Remec devant la juridiction française et lui reprochait notamment dans son assignation la violation de dispositions du même contrat de distribution exclusive.
Dès lors, l’article 75 du Code de procédure civile disposant que la partie qui soulève l’incompétence du tribunal doit la motiver, le tribunal a jugé que Tecnokar Trailer ne pouvait pas soulever l’incompétence du tribunal qu’elle a elle-même saisi et pour des faits qu’elle a elle-même reproché dans son assignation, décide le tribunal.
Ce faisant, le tribunal sanctionne le demandeur qui le saisi sur deux fondements (marque et violation du contrat) pour ensuite essayer de soulever son incompétence en réplique aux conclusions du défendeur lui reprochant également une violation du contrat.
Le tribunal rappelle que le demandeur doit s’interroger avant toute saisine sur le tribunal compétent au regard des moyens qu’il entend soulever, l’exception d’incompétence ne lui étant plus ouverte par la suite, sauf si elle concerne un moyen soulevé par le défendeur et ne figurant pas dans l’assignation.
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Claire Van Mol
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(1) Règlement (CE) 44/2001 du 22-12-2000.
(2) Site www.tecnokar.it.
(3) Cass. com., 10-7-2007, n°05-18571, Buttress BV et autre/L’Oréal Produits de Luxe France.
(4) CPC, art. 75.