La procédure relative à l’adoption d’une directive protégeant les secrets d’affaires, entamée en 2013, a enfin abouti.
La directive UE 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 15 juin 2016 (1).
Le texte de cette directive relative aux secrets d’affaires a fait couler beaucoup d’encre sur les conséquences du durcissement de la législation sur les lanceurs d’alerte et journalistes. Une protection des savoir-faire et informations commerciales dans le secteur concurrentiel était quant à elle attendue et désirée.
Une protection attendue
Dans le prolongement d’affaires d’espionnage économique et industriel célèbres (espionnage sur le rallye du Japon en 2005, affaire Renault en 2011, etc.), les acteurs économiques réclamaient depuis plusieurs années une protection uniforme et solide des secrets d’affaires.
L’objectif était de bénéficier d’une protection unifiée sur le territoire européen, de combler le manque de protection lorsque les critères pour bénéficier du droit des brevets ou du droit d’auteur ne sont pas remplis, et de préserver la confidentialité des informations constituant un avantage compétitif.
Au niveau national, toute tentative à légiférer spécifiquement sur le sujet avait échoué à plusieurs reprises (2). Même si plusieurs outils sont à la disposition des entreprises pour protéger leur patrimoine informationnel, la protection en droit français demeure faible.
Sur le plan civil, l’action en concurrence déloyale reste certes possible mais les preuves de la faute et du dommage sont difficiles à rapporter. Sur le plan pénal, l’infraction classique du vol s’accorde parfois mal avec le caractère immatériel des secrets d’affaires puisque la qualification pénale de vol requiert la soustraction matérielle de la chose (3). L’infraction de l’abus de confiance fait quant à elle abstraction du caractère matériel ou immatériel de l’objet de l’infraction mais cette infraction nécessite une remise préalable. Enfin, le délit spécifique de violation des secrets de fabrique ne sanctionne que les directeurs et les salariés (article L.621-1 du code de la propriété intellectuelle) qui révèlent ou tentent de révéler un secret de fabrication.
Ce texte était donc largement attendu et désiré notamment par les grands groupes industriels.
Le périmètre de la notion de secret d’affaires
La principale difficulté dans l’établissement de ce texte est de déterminer l’étendue de la notion de « secret d’affaires ».
A cet effet, la directive s’inspire de l’article 39 de l’accord sur les ADPIC (Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce, Organisation Mondiale du Commerce), relatif aux « renseignements non divulgués ».
Pour être qualifiées de secrets d’affaires, les informations doivent répondre de façon cumulative aux trois critères suivants :
- « elles sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles,
- elles ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes,
- elles ont fait l’objet, de la part de la personne qui en a le contrôle de façon licite, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrètes ».
Le régime de protection
La directive implique que les Etats membres mettent à la disposition des « détenteurs de secrets d’affaires » (terme défini à l’article 2 de la Directive comme « toute personne physique ou morale qui a le contrôle d’un secret d’affaires de façon licite ») des « mesures, procédures et réparations nécessaires pour qu’une réparation au civil soit possible en cas d’obtention, d’utilisation et de divulgation illicites de secrets d’affaires ». Ces mesures doivent être justes et équitables, elles ne doivent pas être inutilement complexes, coûteuses ou longues à mettre en place, elles doivent être effectives et dissuasives.
La directive prévoit que les États membres doivent veiller à ce que « les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du détenteur de secrets d’affaires » et sous réserve d’apporter les éléments de preuve suffisants :
– prononcer des mesures provisoires et conservatoires ;
– prononcer, au fond, des injonctions et mesures correctives.
La directive présente également un mécanisme de réparation intéressant qui semble calqué sur les mécanismes existant en matière de contrefaçon. Pour la fixation du montant des dommages et intérêts, les juges devront
- prendre en considération « tous les facteurs appropriés tels que les conséquences économiques négatives, y compris le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant, et dans les cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économique, tel que le préjudice moral », ou
- « fixer un montant forfaitaire de dommages et intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret d’affaire en question ».
Objectif : l’harmonisation
La directive vise ainsi à harmoniser sur le plan civil la protection des secrets d’affaires. Les Etats membres restent libres d’aller au-delà (article 1er de la directive) et d’aller même jusqu’à assurer par un volet pénal la protection des secrets d’affaires.
En tout état de cause, les Etats membres auront jusqu’au 9 juin 2018 pour mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la mise en conformité avec la directive.
Si l’objectif de la directive de protéger les secrets d’affaires contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicite, et d’harmoniser cette protection, paraissent louables, sa mise en œuvre et ses effets restent incertains.
Une mise en œuvre et des effets incertains
La directive prévoit l’établissement de rapports pour évaluer l’impact qu’elle aura dans quelques années sur la recherche et l’innovation notamment.
Les termes employés par la directive permettent de douter de son effet harmonisateur et même de la sécurité juridique qu’elle devrait assurer. Les notions d’ « intérêt public », « intérêt général », l’idée de proportionnalité et de caractère « raisonnable » sont autant d’expressions aux contours incertains.
Enfin, des critiques sont formulées contre le texte sur la faiblesse des gardes fous permettant la protection des lanceurs d’alerte et journalistes. Une directive séparée doit encadrer la protection des lanceurs d’alerte ; certains espéraient que les deux directives soient adoptées dans le même temps.
La sécurisation de votre innovation
La protection des secrets d’affaires permet de protéger les informations commerciales et les savoir-faire qui ne font pas forcément l’objet d’un droit privatif mais constituent une valeur économique et un avantage compétitif qui doit rester secret.
La sécurisation de ces secrets d’affaires par des accords de confidentialité protecteurs est essentielle. L’article 4 de la directive dispose qu’agir en violation d’un accord de confidentialité constitue une utilisation ou une divulgation illicite, qui donne lieu à l’application du régime de protection des secrets d’affaires.
D’autres mesures de sécurisation telles que la traçabilité des informations confidentielles (versionning, cahier de laboratoire), la gestion de la preuve et la réalisation de dépôts probatoires réguliers, l’insertion de pièges, la définition d’une charte graphique sont d’autres éléments qui permettent d’entourer la protection légale (actuelle et future) des secrets d’affaires et surtout de se préconstituer des preuves nécessaires à la démonstration d’une obtention, utilisation et divulgation illicites.
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