L’affaire Macif–IGA Assurances est l‘occasion de revenir sur la nécessité d’une réparation claire des responsabilités. Ainsi que sur quelques conseils de rédaction des contrats informatiques.
Il convient en effet d’anticiper, dès le stade de la contractualisation, les potentielles difficultés d’exécution du projet informatique.
Retours sur l’affaire Macif – IGA Assurances
Dans le cadre d’un projet de restructuration, la Macif avait conclu avec IGA Assurances deux contrats. L’un concernant l’intégration de la solution logicielle éditée par le prestataire. L’autre, la licence-maintenance de cette même solution.
Après des retards successifs et difficultés sur la complétude et la conformité des documents de conception, la Macif agit. Elle met en demeure son prestataire de livrer les spécifications fonctionnelles détaillées. Au terme du délai imparti, la Macif prononce, à ses risques et périls, la résiliation du contrat. Pour faute grave et répétée du prestataire. Les livrables communiqués ne couvraient selon elle « pas la moitié des besoins exprimés » dans le contrat. Résiliation contestée par IGA Assurances.
Au terme d’une expertise judiciaire, la Macif assigne le prestataire devant le Tribunal de commerce de Nanterre en résolution judiciaire des deux contrats. En vue d’obtenir la restitution des sommes prétendument versées en pure perte. Sans oublier le paiement de dommages-intérêts. IGA Assurances demandait, à titre reconventionnel, la condamnation au versement de dommages et intérêts du fait de la résiliation abusive du contrat.
Le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre
Par un jugement du 24 juin 2016 (1), le Tribunal de commerce de Nanterre a prononcé la résolution judiciaire de l’ensemble contractuel aux torts exclusifs de la Macif. Condamnant notamment celle-ci au paiement des factures pendantes et à plus de 1,14 millions d’euros de dommages-intérêts. Notamment aux motifs suivants :
- l’obligation de résultat de délivrance à la charge d’IGA était circonscrite à la livraison des spécifications fonctionnelles détaillées (SFD) indispensables aux développements spécifiques et aux adaptations à apporter au progiciel. Elle ne portait pas sur la couverture de l’intégralité des besoins du client, formalisés dans le contrat ;
- la non-conformité des SFD sur un plan quantitatif ne pouvait résulter du défaut de couverture de 100 % des besoins formalisés au contrat. Ce défaut de complétude n’était pas prouvé par la Macif qui devait « indiquer précisément quelles spécifications n’avaient pas couvert un besoin destiné à un développement spécifique » ;
- le défaut de qualité des SFD était insuffisamment justifié par la Macif. Il ne pouvait en tout état de cause être exclusivement imputable à IGA, puisque dépendant directement de l’expression des besoins du client ;
- en tout état de cause, la Macif a manqué à son obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat.
L’affaire Macif – IGA Assurances est l‘occasion de revenir sur quelques conseils de rédaction des contrats informatiques.
Conseil n°1 : s’assurer de l’adéquation des objectifs affichés avec la réalité du projet
Tout d’abord les objectifs visés au contrat constituent un référentiel d’interprétation du contrat et des faits. En particulier, les juges du fond prennent en considération ces objectifs ; lorsqu’ils apprécient, souverainement, la conformité des prestations réalisées au référentiel contractuel.
L’affaire Macif – IGA Assurances en est l’illustration. Le Tribunal de commerce a ainsi considéré que, dans la mesure où le client avait formalisé « son intention d’adopter un progiciel en limitant les développements spécifiques (.) et avait demandé au prestataire de privilégier tout au long du projet les solutions standards aux solutions spécifiques (.), le client avait nécessairement entendu adapter majoritairement ses modes de fonctionnement et ses processus au nouvel outil et non l’inverse ». Il ne pouvait reprocher au prestataire de « proposer une fonctionnalité standard du progiciel » plutôt que des développements spécifiques.
Lors de la négociation des contrats informatiques, la rédaction des « objectifs » du projet et du client, notamment dans le cadre du préambule, devra donc être réalisée avec soin.
Conseil n°2 : décrire le périmètre des services et prestations
Indépendamment de la portée attachée aux obligations du prestataire (obligations de moyens ou de résultat), l’affaire Macif – IGA Assurances rappelle la nécessité de décrire précisément les prestations attendues du prestataire.
En l’espèce, bien qu’IGA Assurances soit tenue d’une obligation de résultat de délivrance conforme des spécifications, aucun manquement n’a été retenu à son encontre. En effet, elle n’était pas tenue de délivrer des spécifications couvrant 100% des besoins exprimés contractuellement. De même, le Tribunal relève qu’aucun degré de précision de ces spécifications n’était formalisé.
En d’autres termes, lors de la négociation des contrats, il est essentiel de définir précisément :
- le contenu des services et la liste des livrables attendus ;
- le référentiel de conformité et des critères objectifs de recette.
Ceci est d’autant plus important pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 (2), pour lesquels la réforme du droit des contrats sera applicable. Le prestataire sera tenu d’offrir « une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie » , « lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat » (3).
Les sanctions attachées au défaut de recette, en particulier les responsabilités respectives devront également être précisées. Ainsi d’ailleurs que les modalités de résiliation de plein droit du contrat pour faute du prestataire.
Conseil n° 3 : identifier les obligations et prérequis à la charge du client
Le Tribunal de commerce a en l’espèce rappelé que la bonne exécution par le prestataire de ses obligations dépendait, du moins en partie, du respect par le client de ses propres obligations.
Deux obligations sont visées en priorité :
- d’une part, l’expression des besoins du client. Le Tribunal précise ainsi que « la qualité et le temps qui sera nécessaire pour construire [les spécifications fonctionnelles], va dépendre in fine aussi bien de l’expression du besoin par l’utilisateur final en des termes précis, intelligibles, non évolutifs et reposant sur une organisation et des processus stabilisés, que de celle de sa retranscription pas à pas dans des termes permettant sa compréhension et sa validation » ;
- d’autre part, l’obligation générale de collaboration. Le client se doit d’agir de bonne foi et de communiquer l’ensemble des documents raisonnablement nécessaires à la réalisation des prestations. Comme le souligne le Tribunal, toute information présentant un « intérêt manifeste » pour le suivi et la réalisation des prestations devrait ainsi être communiquée « en temps utile » par le client au prestataire. En l’espèce, en s’abstenant de communiquer des informations utiles (éléments quantitatifs relatifs à la couverture par les spécifications fonctionnelles des besoins exprimés, résultats d’un audit des besoins pour lesquels la solution a été spécifiée…), la Macif a privé le prestataire « d’une possibilité d’exécution dans de bonnes conditions » et a manqué à son obligation de coopération de bonne foi. La résiliation prononcée par cette dernière est donc considérée comme abusive.
L’importance de cette obligation semble de plus renforcée dans le cadre de la réforme du droit des contrats. La négociation et l’exécution de bonne foi des contrats constitue désormais une règle d’ordre public (4).
Lors de la négociation des contrats informatiques, il est en conséquence recommandé de détailler les obligations et responsabilités du client. En précisant notamment les informations attendues du client et la nature de la collaboration et de l’implication attendue au regard notamment de la méthodologie adoptée.
Conseil n°4 : introduire une matrice de responsabilités (RACI) adaptée à la méthodologie employée
Enfin il convient de définir les obligations respectives des parties et l’implication attendue de l’autre partie. Ceci au moyen de matrices de responsabilités (RACI). Celles-ci ont pour objet de définir le rôle et les tâches respectives des parties au moyen de la nomenclature suivante :
- R : réalise
- A : approuve
- C : contribue ou consulté
- I : informé.
La méthodologie (classique ou Agile) qui sera employée dans le cadre du projet devra être prise en considération. Celle-ci est en effet susceptible d’avoir une incidence sur la portée des obligations à la charge des parties.
Ceci est d’autant plus vrai dans les projets où la méthodologie Agile est employée, les obligations respectives des parties en quelque sorte « interdépendantes ».
Le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre est à cet égard révélateur. Bien que le prestataire soit contractuellement qualifié de maître d’œuvre et soit tenu de délivrer – sur la base d’une obligation de résultat – les spécifications attendues de manière conforme ; le Tribunal semble considérer que « la responsabilité des spécifications et l’engagement associé sont (…) collectifs » ; en cause, la méthodologie Agile employée. En conséquence, pour imputer la responsabilité de leur non-conformité à IGA, la Macif devait démontrer que ses demandes étaient exemptes d’incohérences. Et qu’elles « n’excédaient pas l’objectif initial de standardisation pour tendre vers une solution de plus en plus spécifique ».
L’incidence des méthodologies adoptées, en particulier lorsqu’elles sont – en tout ou en partie – « Agiles », doit donc être anticipée ; ceci afin de déterminer, notamment, l’implication attendue du client et les responsabilités respectives des parties.
Recommandation finale
Outre les principes rappelés ci-dessus, la réforme du droit des contrats, bientôt en vigueur, doit être anticipée ; dès la négociation des contrats informatiques afin de bien encadrer les responsabilités respectives.
Jean-François Forgeron
Sophie Duperray
Lexing Informatique et Droit
(1) TC Nanterre, 4e ch. 24-6-2016, MACIF / IGA Assurances.
(2) Ord. 2016-131 du 10-2-2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, art. 9. La réforme est applicable aux contrats conclus, renouvelés ou reconduits à compter du 1er octobre 2016.
(3) C. civ. nouvel art. 1166.
(4) C. civ. nouvel article 1104.