Dans une décision portant sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) rendue le 20 mai 2020 (1), le Conseil constitutionnel a abrogé partiellement le dispositif de riposte graduée d’Hadopi, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).
Hadopi est une autorité publique indépendante prévue par la loi Création et Internet (2) et instaurée par décret (3). Hadopi envoie des avertissements aux internautes suspectés de pratiquer du téléchargement illégal. Après l’émission de plusieurs avertissements, le dossier peut être transmis à la justice aux fins de poursuites. Afin de découvrir l’identité de ces internautes contrevenants, Hadopi doit obtenir leur adresse IP pour pouvoir demander aux opérateurs téléphoniques d’identifier le titulaire de l’abonnement.
Le pouvoir spécial de la riposte graduée d’Hadopi
La commission de protection des droits d’Hadopi est l’organe chargé de veiller au respect de l’obligation issue de l’article L.336-3 du Code de la propriété intellectuelle. Cet article dispose que le titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation frauduleuse au détriment d’œuvres ou objets protégés par le droit d’auteur ou un droit voisin.
Pour ce faire, l’article L.331-21 du Code de la propriété intellectuelle confère à Hadopi plusieurs prérogatives. D’une part, les agents d’Hadopi peuvent obtenir des opérateurs de communication électronique la transmission des données d’identification de l’abonné dont l’accès à des services de communication au public en ligne est illégal. D’autre part, les agents d’Hadopi peuvent recevoir communication et copie de tous documents relatifs aux données de connexion détenues par les opérateurs de communication électronique.
L’abrogation partielle du dispositif de réponse graduée
Le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC, s’est prononcé sur la légalité du pouvoir spécial de réponse graduée d’Hadopi (4).
Il considère que la procédure permettant aux agents d’Hadopi d’obtenir « communication et copie de tous documents, quel qu’en soit le support, y compris les données de connexion détenues par les opérateurs de communication électronique » n’est pas entourée des garanties suffisantes pour assurer l’équilibre entre respect de la vie privée et sauvegarde de la propriété intellectuelle.
Les sages estiment que cette disposition offre la possibilité de collecter trop largement les données, dès lors qu’elle ne précise ni les personnes auxquelles elle est susceptible de s’appliquer, ni la nature du lien entre les données et le manquement constaté. En outre, les données concernées permettent d’obtenir de trop nombreuses et trop précises informations sur les internautes concernés ; ce qui cause nécessairement une atteinte disproportionnée à leur vie privée. Cette disposition a donc été abrogée par le Conseil constitutionnel.
En revanche, le Conseil n’a pas censuré la première partie de cette disposition, selon laquelle les agents d’Hadopi peuvent obtenir des opérateurs de communication électronique l’identité d’un internaute à partir de son adresse IP. Selon le Conseil constitutionnel, la communication de l’identité, des adresses postale et électronique ainsi que des coordonnées téléphoniques de l’internaute utilisant frauduleusement un service de communication au public en ligne visent à renforcer la lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet.
Dès lors, celles-ci sont nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi, à savoir la sauvegarde de la propriété intellectuelle. En outre, ces mesures semblent entourées de garanties suffisantes, puisque leur mise en œuvre est confiée à des agents habilités, assermentés et soumis au secret professionnel. Le Conseil constitutionnel n’a donc pas abrogé la disposition.
Les incertitudes quant à l’avenir du pouvoir spécial de réponse graduée
Hadopi affirme que la Commission de protection des droits n’a jamais utilisé les dispositions censurées pour mettre en œuvre la réponse graduée. En effet, la collecte des données de connexion ne s’est jamais faite directement auprès des opérateurs téléphoniques.
En pratique, des ayants droits se chargent de la collecte des informations auprès de ces opérateurs ; puis les transmettent par procès-verbal à Hadopi ; à charge pour cette dernière de contacter les fournisseurs d’accès internet pour obtenir l’identité de l’internaute concerné. Ainsi, la décision du Conseil Constitutionnel ne semble pas avoir de conséquences sur l’actuelle réponse graduée d’Hadopi ; ses agents n’étant pas personnellement chargés de la mission de collecte des données.
En outre, le Conseil constitutionnel diffère l’abrogation des dispositions litigieuses au 31 décembre 2020. Ce délai pourrait laisser le temps au législateur d’adopter une nouvelle législation qui permettrait de dissiper tout risque de confusion.
L’avenir de l’Hadopi
Enfin, l’incertitude persiste sur l’avenir même d’Hadopi. En effet, le projet de loi sur la communication audiovisuelle (5) prévoit de fusionner cette Haute autorité avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) au sein d’une entité nouvelle. L’évolution du dispositif de riposte graduée d’Hadopi dans cette nouvelle structure pose donc question.
Marie Soulez
Lexing Département Propriété intellectuelle
Cyrielle Girard-Berthet
Auditrice de justice de la promotion 2020
ENM École nationale de la magistrature
(1) Décision du Conseil constitutionnel DC n°2020-841 QPC du 20 mai 2020
(2) Loi n° 2009-669 du 12-06-2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.
(3) Décret n° 2009-1773 du 29-12-2009 relatif à l’organisation de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet
(4) La Quadrature du Net est une association de défense des libertés, opposante historique d’Hadopi. Elle estime que la jurisprudence européenne qui encadre strictement la conservation des données personnelles est incompatible avec la législation française ; en particulier s’agissant du pouvoir spécial de réponse graduée d’Hadopi. Pour plus d’information, voir nos précédents articles.
(5) Projet de loi n°2488 relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique