Le droit de la consommation s’applique aux conditions contractuelles des réseaux sociaux, tel est l’enseignement du jugement du 7 août 2018 (1).
L’Union fédérale des consommateurs (UFC que choisir) avait saisi le Tribunal de grande instance de Paris, d’une action en suppression des clauses abusives contenues dans les conditions générales de la société Twitter.
Le Code de la consommation, assurant sur ce point la transposition d’une obligation créée par le droit communautaire, confie un véritable pouvoir de police contractuelle aux associations de consommateurs agréées (2).
En effet, les associations disposent d’une action en cessation, permettant au juge saisi, outre de prononcer le caractère non écrit de clauses, d’en ordonner la cessation sous astreinte, y compris dans les contrats en cours d’exécution, selon la dernière rédaction de l’article L.621-8.
Les actions de l’UFC que choisir à l’encontre des conditions contractuelles des réseaux sociaux : le contexte
La question de la maîtrise des données personnelles est un enjeu majeur pour les consommateurs.
Elle constitue un défi à relever pour leurs associations, qui doivent tout mettre en œuvre pour assurer le contrôle indispensable, tant lors de la collecte que postérieurement, à l’occasion des multiples usages qui peuvent être faits par ses géants de l’internet de ce matériau, qui relèvent souvent de l’intimité de la personne.
En effet, l’usage de ces données à des fins commerciales et de marketing peut donner lieu à des dérives.
A titre d’exemple, Facebook a mis en place une stratégie de ciblage de ses audiences, qui sont ensuite commercialisées auprès des annonceurs (3).
C’est dans ce contexte que l’association a notamment lancé des actions en suppression de clauses abusives, contenues dans les conditions contractuelles des réseaux sociaux Facebook, Tweeter, et Google+.
Les actions en suppression de clauses abusives contenues dans les conditions contractuelles des réseaux sociaux : compétences des juridictions françaises
En matière de clauses abusive présentes dans les conditions contractuelles des réseaux sociaux, la compétence territoriale des juridictions françaises ne semblait pas, à première vue, évidente.
Les défendeurs à l’action sont souvent des sociétés basées aux Etats-Unis, dont l’activité est certes dirigée vers le consommateur français, mais dont les prestations proposées peuvent être réalisées dans n’importe quel endroit au monde.
La Cour d’appel de Pau a mis fin au débat, en jugeant qu’une société proposant l’accès à un réseau social – en l’espèce la société Facebook Inc. – bien qu’ayant son siège social à l’étranger, assurait à distance et par voie électronique, la fourniture de services en France d’une manière stable et durable à destination d’internautes français (4), ce qui fondait la compétence territoriale des juridictions françaises.
S’agissant de la loi applicable, l’article L.232-1 du Code de la consommation prévoit que le consommateur ne peut être privé de la protection assurée par la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire d’un Etat membre (5). L’application de la loi française est donc rendue possible.
Par ailleurs, le Tribunal de grande instance de Paris a confirmé, une nouvelle fois, la compétence des juridictions françaises, en acceptant de juger l’action à l’encontre des clauses abusives contenues dans les conditions contractuelles des réseaux sociaux, dont il était saisi.
L’apport du jugement du TGI de Paris du 7 août 2018 : les conditions contractuelles des réseaux sociaux à modifier
Le Tribunal de grande instance de Paris, saisi par l’UFC que choisir, a rendu son premier jugement à l’encontre de la société Twitter le 7 août 2018.
Le premier apport de ce jugement se trouve dans l’application par le tribunal des dispositions du Code de la consommation, ce dernier affirmant que :
le contrat d’utilisation de la plate-forme, exploitée par la société Twitter en sa qualité de professionnel, est soumis aux dispositions du code de la consommation, notamment aux dispositions relatives aux clauses abusives, l’utilisateur qui participe au contenu restant un consommateur au regard des dispositions du code de la consommation.
Ainsi contrairement à ce que soutenait Twitter, il a été jugé que le fait que le service soit gratuit n’est pas de nature à évincer l’application du droit de la consommation.
Le tribunal a effet considéré que la gratuité n’était qu’apparente, le consommateur donnant, en contrepartie, l’usage de ses données personnelles, qui ont une valeur marchande.
Le second apport est celui de la condamnation de Twitter pour les nombreuses clauses abusives contenues dans ses conditions contractuelles.
Le tribunal a notamment considéré abusives et ou illicites les clauses ayant pour effet de (6) :
- considérer les données personnelles comme des données « publiques » par défaut ;
- transférer librement les données personnelles dans un autre pays sans autres précisions ;
- se déclarer irresponsable en cas de faille de sécurité entraînant la fuite, notamment, des données personnelles ;
- copier, adapter, modifier, vendre les contenus postés ou futurs des utilisateurs, y compris ceux protégés par le droit de la propriété intellectuelle, à tout bénéficiaire, sur tout support, sans autorisation préalable ;
- modifier les 25 pages de « conditions générales d’utilisation », renvoyant en partie à des contenus en anglais, sans en informer systématiquement les utilisateurs ;
- user trop fortement du recours aux liens hypertextes rendant impossible pour le consommateur la vision de ses droits et devoirs.
Enfin, le tribunal a jugé qu’il était inutile de modifier les clauses contractuelles en cours d’instance, afin d’éviter une condamnation en invalidant les clauses modifiées par Twitter.
Ce jugement, s’analysant comme une victoire pour les associations de consommateurs, reste susceptible d’appel. La Cour d’appel de Paris sera peut-être amenée à se prononcer sur la question des clauses abusives contenues dans les conditions contractuelles des réseaux sociaux.
Les décisions concernant les réseaux Facebook et Google + sont attendues pour l’année 2019.
Marie Soulez
Caroline Franck
Lexing Propriété intellectuelle contentieux
(1) TGI de Paris, jugement du 7 août 2018
(2) Code de la consommation, article L.621-8 et Directive 2009/22/CE du 23 avril 2009 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (version codifiée)
(3) Page Facebook sur le ciblage principal
(4) CA Pau, 1e chambre, Arrêt du 23 mars 2012, n°11/03921
(5) Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs
(6) UFC que choisir, Communiqué de presse du 8 août 2018