Les conditions de désignation d’un administrateur provisoire seraient-elles en train d’évoluer vers un assouplissement ?
En l’espèce, un associé d’une société civile immobilière (SCI) désireux d’exercer son droit de retrait avait assigné la société aux fins de voir prononcer son retrait et désigner un expert pour déterminer la valeur de ses parts sociales.
En cours d’instance, cet associé a renoncé à ses demandes initiales pour solliciter in fine la désignation d’un administrateur provisoire en raison d’une mésentente avec l’associé gérant consécutive à une séparation conjugale survenue par le passé.
Par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 novembre 2016, les juges du fond ont fait droit à sa demande en désignant administrateur provisoire.
Pour rappel, un administrateur provisoire est un mandataire de justice chargé d’assurer temporairement la gestion d’une personne morale dont le fonctionnement est paralysé en raison de difficultés.
Arguant que les juges du fond avaient statué en ce sens sans rechercher si les circonstances de la mésentente entre associés rendaient impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçaient d’un péril imminent, dont seule la preuve était de nature à justifier la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire, la SCI, par l’intermédiaire de son associé gérant, avait formé un pourvoi en cassation aux fin de voir casser l’arrêt de la Cour d’appel.
En contrepied de la position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, la troisième chambre civile a rejeté le pourvoi et confirmé la décision de la Cour d’appel aux motifs qu’il existait une mésentente entre les associés résultant du fait que l’associé gérant refusait de réunir une assemblée générale et de communiquer les comptes sociaux (1).
Par cette décision, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rompt avec une jurisprudence bien établie de la chambre commerciale considérant que la désignation d’un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement régulier de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent, compromettant ainsi les intérêts sociaux (2).
Or, c’est précisément cette position constante et réitérée de la chambre commerciale que la demanderesse au pourvoi entendait reprendre à son compte pour voir casser l’arrêt d’appel et décliner la désignation d’un administrateur provisoire.
Par cette décision, la troisième chambre civile semble donc donner raison aux juges du fond pour lesquelles la simple mésentente entre associés justifiait cette désignation.
Les règles de désignation d’un mandataire judiciaire seraient donc désormais plus souples pour les SCI.
Cette décision, destinée de surcroît à une large publication en ce qu’elle a vocation à être diffusée sur le site Internet de la Cour de cassation et à paraitre au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation ainsi qu’au Bulletin d’information de la Cour de cassation, est-elle annonciatrice d’un assouplissement des conditions de désignation d’un mandataire ad hoc posées par la Chambre commerciale ou bien évoluons-nous vers un droit à double régime avec des conditions plus ou moins strictes selon que la société soit civile ou commerciale ?
En toutes hypothèses, l’on peut regretter que l’équilibre trouvé par la Chambre commerciale qui avait le mérite de limiter l’immixtion du juge dans les affaires des sociétés soit ainsi remis en cause par la Troisième chambre civile pour laquelle, à lire la décision, une mésentente n’empêchant pas le fonctionnement d’une société peut justifier le remplacement du gérant par une tierce personne.
Pierre-Yves Fagot,
Maxime Guinot
Lexing Droit de l’entreprise
(1) Cass. Civ.3., 21-6-2018, n°17-13.212
(2) Cass. Com. 25-9-2007, n°06-20.320