L’analyse de l’affaire Playmédia par l’Avocat général est l’occasion d’apporter un éclairage sur le must carry.
L’affaire France Télévisions contre Playmédia
Plusieurs juridictions ont été saisies dans le cadre de l’affaire France Télévisions contre Playmédia qui porte sur l’obligation de «must carry».
La société Playmédia est une société qui propose un service de diffusion de chaînes de télévision en flux continu et en direct à partir d’un site internet financé par la publicité.
Elle estime être en droit de diffuser sur son site internet les chaînes de France Télévisions, notamment au titre de l’obligation de diffusion posée par l’article 34-2 de la loi Léotard.
La société France Télévisions qui diffuse elle-même en flux continu sur internet ses chaînes, s’oppose à cette diffusion par le site de Playmédia. Titulaire de droits d’auteur et de droits voisins, elle estime notamment qu’une telle diffusion sans son autorisation constitue une contrefaçon.
Cadre légal
Le droit de l’Union permet aux Etats membre d’imposer à certains acteurs une obligation de diffusion de chaînes spécifiques, obligation dite de « must carry ».
L’article 31 de la directive 2002/22 dispose en effet que «les États membres peuvent imposer des obligations raisonnables de diffuser («must carry»), pour la transmission des chaînes ou des services de radio et de télévision spécifiés, aux entreprises qui, sous leur juridiction, exploitent des réseaux de communications électroniques utilisés pour la diffusion publique d’émissions de radio ou de télévision, lorsqu’un nombre significatif d’utilisateurs finals de ces réseaux les utilisent comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision. De telles obligations ne peuvent être imposées que lorsqu’elles sont nécessaires pour atteindre des objectifs d’intérêt général clairement définis et doivent être proportionnées et transparentes. Ces obligations sont soumises à un réexamen périodique» (1).
Cette obligation vise à favoriser la diversité culturelle et à permettre un accès universel aux principales chaînes de radio et de télévision.
Le droit français comprend également des dispositions dans la loi Léotard qui imposent une obligation de diffusion. Les acteurs concernés sont les distributeurs de services, entendus comme «toute personne qui établit avec des éditeurs de services des relations contractuelles en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle mise à disposition auprès du public par un réseau de communications électroniques au sens du 2° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques», ainsi que «toute personne qui constitue une telle offre en établissant des relations contractuelles avec d’autres distributeurs» (2).
Les questions posées à la CJUE
Tant le Conseil d’Etat que la Cour de Cassation ont décidé de surseoir à statuer jusqu’à ce que la CJUE se soit prononcée sur plusieurs points :
1°) Une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet doit-elle, de ce seul fait, être regardée comme une entreprise qui exploite un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique d’émissions de radio ou de télévision au sens du paragraphe 1 de l’article 31 de la directive 2002/22/CE du 7 mars 2002 ?
2°) En cas de réponse négative à la première question, un Etat membre peut-il, sans méconnaître la directive ou d’autres règles du droit de l’Union européenne, prévoir une obligation de diffusion de services de radio ou de télévision pesant à la fois sur des entreprises exploitant des réseaux de communications électroniques et sur des entreprises qui, sans exploiter de tels réseaux, proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet ?
3°) En cas de réponse positive à la deuxième question, les Etats membres peuvent-ils s’abstenir de subordonner l’obligation de diffusion, en ce qui concerne les distributeurs de services qui n’exploitent pas des réseaux de communications électroniques, à l’ensemble des conditions prévues au paragraphe 1 de l’article 31 de la directive 2002/22/CE du 7 mars 2002, alors que ces conditions s’imposeront en vertu de la directive en ce qui concerne les exploitants de réseaux ?
4°) Un Etat membre qui a institué une obligation de diffusion de certains services de radio ou de télévision sur certains réseaux peut-il, sans méconnaître la directive, prévoir l’obligation pour ces services d’accepter d’être diffusés sur ces réseaux, y compris, s’agissant d’une diffusion sur un site internet, lorsque le service en cause diffuse lui-même ses propres programmes sur internet ?
5°) La condition selon laquelle un nombre significatif d’utilisateurs finals des réseaux soumis à l’obligation de diffusion doivent les utiliser comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision prévue au paragraphe 1 de l’article 31 de la directive 2002/22/CE doit-elle, s’agissant d’une diffusion par internet, s’apprécier au regard de l’ensemble des utilisateurs qui visionnent des programmes de télévision en flux continu et en direct sur le réseau internet ou des seuls utilisateurs du site soumis à l’obligation de diffusion ?
Analyse de l’affaire Playmédia par l’Avocat général
L’analyse de l’affaire Playmédia par l’Avocat général porte sur les questions préjudicielles qui ont été posées par le Conseil d’Etat en mai 2017 (3).
Pour l’Avocat général, une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet ne doit pas être considérée, au sens du paragraphe 1 de l’article 31 de la directive 2002/22, comme une entreprise qui exploite un réseau de communications électroniques utilisé pour la diffusion publique de chaînes de radio et de télévision (4).
Il relève notamment dans son analyse le considérant 5 de la directive 2002/21 selon lequel «il est nécessaire de séparer la réglementation de la transmission de celle des contenus». Il qualifie la société Playmédia d’utilisateur du réseau et non d’exploitant car elle n’exerce pas de contrôle sur le fonctionnement du réseau et ne transmet pas les signaux sur le réseau mais les produit.
A la deuxième et quatrième questions, il répond que la directive 2002/22 ne fait pas obstacle à ce qu’une législation nationale prévoit pour les entreprises qui proposent le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet une obligation de diffusion de programmes de télévision spécifiques.
Toutefois, ces dispositions devront tendre à un but d’intérêt général, par exemple pour garantir le caractère pluraliste de l’offre des programmes de télévision, et être proportionnées. A cet égard il souligne que les évolutions technologiques remettent en cause les contraintes imposées par une telle obligation de diffusion, et l’obligation qui en découle de « must offer » qui consiste à ne pas s’opposer à cette diffusion. Un internaute peut en effet tout aussi bien accéder par le même moyen technique de réception, à savoir internet, au contenu proposé par le site internet de France Télévisions qu’à celui proposé par le site internet de Playmédia.
Par ailleurs, sur l’aspect propriété intellectuelle, l’Avocat général considère que les entreprises ne pourront pas s’affranchir du respect des droits d’auteur et des droits voisins relatifs à ces programmes.
Sur la troisième question, il considère que les conditions prévues au paragraphe 1 de l’article 31 de la directive 2002/22/CE du 7 mars 2002 ne s’imposent pas au législateur qui prévoit une obligation de diffusion en dehors du champ d’application de cette réglementation.
Il n’examine pas en détails la cinquième question en raison des réponses données précédemment dans son analyse.
Portée de l’analyse de l’affaire Playmédia par l’Avocat général
L’analyse de l’affaire Playmédia par l’Avocat général est délimitée par les questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat.
Conformément à l’article 252 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, «l’Avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention».
En tout état de cause, la CJUE n’est pas liée par les conclusions présentées par l’Avocat général.
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Propriété intellectuelle contentieux
(1) Directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel »).
(2) Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard).
(3) Conseil d’État, 5e-4e ch. réunies, 10-5-2017, n° 391519.
(4) Conclusions de l’Avocat général M. M. Szpunar, présentées le 5 juillet 2018.