Le défaut d’ anonymisation d’un article de presse en ligne ne constitue pas une atteinte à l’intimité de la vie privée.
Quelques jours après avoir été condamné par une cour d’assises pour des faits de violence avec arme ayant entraîné une incapacité permanente, Monsieur B-H s’était rendu, en violation de son interdiction de se rendre dans le département de Seine-Saint-Denis, sur le tournage d’un jeu télévisé de la chaîne TF1, dans ses studios de la Plaine-Saint-Denis, pour y remporter une voiture.
Un article intitulé « Poursuivi pour tentative de meurtre, il avait participé au Bigdil » est publié quelques jours plus tard sur le site internet www.20minutes.fr.
Une dizaine d’années plus tard, estimant que cet article qui n’avait pas fait l’objet d’une anonymisation portait atteinte à l’intimité de sa vie privée, Monsieur B-H a adressé à la société éditrice du site une demande de suppression de toute référence à son nom et de déréférencement de l’article sur le moteur Google, sur le fondement de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée dite « loi Informatique et libertés », dont le premier alinéa dispose : « Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ».
Il a ensuite saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés pour l’informer avoir reçu une réponse négative de la société éditrice du site www.20minutes.fr quant à l’ anonymisation de l’article.
Le conseil de Monsieur B-H a alors adressé deux lettres de mise en demeure à la société éditrice afin qu’elle procède à l’ anonymisation de l’article, c’est-à-dire supprimer toute référence à l’identité de son client, soulignant notamment que, contrairement à ce qui était indiqué dans le titre de l’article, celui-ci n’a pas été poursuivi pour tentative de meurtre mais pour violences aggravées.
La société éditrice a modifié le titre de l’article, mais n’a pas procédé à l’ anonymisation de son contenu contenant toujours les nom et prénom de la personne concernée.
Jugeant cette modification insuffisante et la violation de l’intimité de sa vie privée caractérisée, Monsieur B-H a saisi le Tribunal de grande instance de Paris en référé afin que la société éditrice soit notamment condamnée, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, à :
- supprimer, sous astreinte, toute donnée permettant son identification dans l’article désormais intitulé « Poursuivi pour des faits de violence, il avait participé au Bigdil » ;
- procéder au déréférencement de l’article.
Par ordonnance de référé du 8 janvier 2016, le Président du Tribunal de grande instance de Paris a rappelé que « la question de savoir si la mention du nom et du prénom d’une personne dans un article de presse constitue une atteinte au droit au respect de l’intimité de sa vie privée dépend étroitement du contexte dans lequel elle a été effectuée ».
Le Président relève que « F. B-H. a, de fait, été poursuivi et condamné par une cour d’assises ; que son identité a, par conséquent, déjà été révélée licitement au public ; que la mention de ses nom et prénom dans l’article incriminé est par ailleurs en lien étroit avec un fait divers de nature criminelle dont il a été, avec sa victime, l’acteur principal ; qu’il n’apparaît pas illégitime de souligner dans un article consacré à l’ouverture de son procès qu’alors même qu’il faisait l’objet d’une information judiciaire et était placé sous contrôle judiciaire, il n’a pas hésité à violer peu de temps après les faits les obligations qui lui étaient imposées dans le cadre de son contrôle judiciaire pour participer à un jeu télévisé extrêmement populaire ; que cet élément, par sa singularité et par ce qu’il révèle de l’attitude de l’intéressé vis-à-vis de l’institution judiciaire et de la partie civile, présente incontestablement à la fois un lien étroit avec le procès d’assises évoqué et un intérêt pour le public ; qu’il n’est donc nullement illégitime, dans ce contexte, pour la société 20 Minutes France de mentionner l’identité du demandeur ; que les faits relatés sont, par ailleurs, exacts, la seule erreur sur la qualification de l’infraction ayant été rectifiée par la société demanderesse ; que dans ces conditions, il n’apparaît pas avec l’évidence requise en matière de référé que F. B-H. puisse se prévaloir d’une quelconque atteinte à l’intimité de sa vie privée ; qu’il devra, par conséquent, être débouté de l’ensemble de ses demandes ».
Les critères retenus en l’espèce semblent donc assez proches de ceux retenus en matière d’infractions à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour la justification de la bonne foi de l’auteur et de l’exception de vérité :
- lien étroit avec un procès évoqué ;
- intérêt pour le public ;
- légitimité du but poursuivi ;
- exactitude des faits relatés.
Peut-être les chances de succès du demandeur auraient-elles été meilleures si ce dernier avait formulé une demande de suppression sur le fondement du droit à l’oubli auprès de la société Google.Inc.
Virginie Bensoussan-Brulé
Chloé Legris
Lexing Droit pénal numérique