Article 18 – Benoit de Roquefeuil – Logiciels libres et ouverts:

Une liberté sous contraintes

Ouverts ou libres, les logiciels restent soumis à des règles imposées par le droit ou des groupes de pression. La brevetabilité peut aussi constituer un plus de liberté.

Les logiciels qui sont communément désignés comme des logiciels libres présentent, d’un point de vue juridique, au moins deux caractéristiques contradictoires. En premier lieu, il est paradoxal d’associer l’idée de liberté aux logiciels qui sont des œuvres de l’esprit privatives du seul fait de leur création, même inachevée. En effet, un logiciel, sous réserve de son originalité et de sa formalisation, devient un objet juridique particulier en ce qu’il confère à la personne de son auteur ou de ses ayants droits un monopole d’exploitation pour une durée de soixante-dix années après la mort de l’auteur ou de soixante-dix années à compter de leur divulgation pour les œuvres anonymes (ce qui correspond à la quasi-totalité des créations logicielles). A leur création, les logiciels ne peuvent pas être des biens communs ou des res nullius (chose de personne comme disaient les anciens juristes) et leur libération ne peut donc résulter que d’un acte positif, volontaire, de leur auteur utilisant le monopole d’exploitation qui lui est conféré par la loi pour rendre commun ce qui lui est propre. Il est donc paradoxal de constater que les logiciels ne peuvent naître libres mais uniquement le devenir de telle sorte qu’en cette matière la liberté naît de la propriété.

En second lieu, on relèvera qu’il est également paradoxal que la notion de « libre » obéisse à une norme définie par un groupe informel qui propose ou même qui impose des conditions à la liberté. En effet, tous les logiciels dont les auteurs pourraient décider qu’ils sont libres de droits ne méritent pas pour autant la vertueuse qualification de « logiciel libre ». Ne pourront prétendre à la qualification de « libre » que les œuvres logicielles dont l’utilisation obéit à un ensemble de conditions impératives édictées par une communauté associative. Par exemple, l’une des principales associations pour la défense et la promotion des logiciels libres, la Free Software Fondation, indique sur son site internet que quatre conditions minimales sont requises pour qu’un logiciel soit considéré comme : « libre ». Il est ainsi nécessaire que le droit d’usage sur un logiciel dit libre comporte quatre libertés :

– la liberté d’exécuter le logiciel pour n’importe quel usage (liberté 0);

– la liberté d’étudier le fonctionnement d’un programme et de l’adapter à vos besoins (liberté 1) ;

– la liberté de redistribuer des copies (liberté 2) ;

– la liberté d’améliorer le programme et de rendre public vos modifications afin que l’ensemble de la communauté en bénéficie (liberté 3).

Par ailleurs, la GNU Organisation indique également que les critères développés dans la définition du logiciel libre demandent une réflexion sérieuse quant à leur interprétation et que : « pour décider si une licence de logiciel particulière est définie comme libre, nous la jugeons sur ces critères pour déterminer si elle convient à leur esprit tout comme à leur formulation précise. Si une licence inclut des restrictions inacceptables, nous la rejetons même si nous n’avons pas anticipé le problème dans ces critères. Si vous voulez savoir si une licence spécifique est définie comme « libre », reportez-vous à notre liste de licence. Si la licence qui vous intéresse n’y est pas listée, vous pouvez nous demander des précisions en nous envoyant un email » (1).

Libres ou ouverts

Là encore, il est relativement paradoxal que la liberté soit régie par un certain nombre de règles contraignantes, aussi généreuses soient-elles. Compte tenu des ces paradoxes, il serait peut être plus conforme à la réalité de définir de tels logiciels non pas comme des logiciels libres, car libres ils ne le sont pas, mais comme des logiciels ouverts ce qui paraît mieux correspondre à la définition technique et économique de ces produits.

En terme technique, la notion d’ouverture semble décrire mieux la caractéristique principale de ces logiciels qui est de fournir à l’utilisateur l’ensemble des codes du produit. L’utilisateur n’a pas seulement un exécutable, il dispose également du code source ainsi que de la documentation associée. Ainsi, la maintenance corrective et évolutive du produit peut être assurée de façon totalement ouverte et autonome par quelque intervenant informaticien que ce soit.

En terme économique, la notion d’ouverture paraît également mieux correspondre aux caractéristiques essentielles de ce type de produit dans la mesure où les produits ne sont pas économiquement libres, ils sont valorisés et vendus mais en revanche, ils sont totalement ouverts de telle sorte que la valeur du produit dépend exclusivement de l’apport créatif, de l’innovation que tout à chacun est susceptible d’apporter au produit et non pas, comme c’est le cas pour les logiciels « propriétaires », d’une rareté organisée par la préservation du secret des éléments constitutifs de l’œuvre.

Ainsi, plus que libre, de telles créations intellectuelles pourraient être qualifiées de logiciels ouverts ou de logiciels publics. Dès lors, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes, on peut s’interroger sur les raisons profondes qui motivent l’opposition systématique et même virulente des défenseurs du logiciel libre à l’égard de la brevetabilité des logiciels. Le système des brevets semble en effet, dans ses fondamentaux, assez proche des exigences des défenseurs du logiciel libre.

Ouvert et brevetable

Dans sa philosophie, le brevet est un instrument de récompense et de promotion de l’innovation technologique en tant que telle, contrairement à la propriété littéraire et artistique qui vise plutôt à la protection de la forme d’une expression. Les inventions brevetables comme les logiciels sont des créations ouvertes dans la mesure où l’une des conditions de la protection est le dépôt public permettant à la communauté concernée de s’inspirer de l’invention et, pourquoi pas, de l’améliorer pour faire progresser l’état des sciences et des techniques contre une juste récompense.

Enfin, les inventions brevetables semblent économiquement plus dynamiques dans la mesure où le monopole d’exploitation est plus bref (vingt ans) et où l’exploitation de l’invention est obligatoire. En effet, le titulaire d’un brevet, contrairement à l’auteur d’une œuvre de l’esprit a l’obligation d’exploiter ou de faire exploiter son invention pour conserver ses droits exclusifs, à défaut, il peut se voir imposer une licence obligatoire (2).

Il y a peut être moins à redouter de la brevetabilité des logiciels que beaucoup le prétendent et il semble acquis que cette évolution désormais irréversible constitue un plus pour les créations informatiques plutôt qu’une régression ou une contradiction. De plus, une telle évolution paraît, somme toute, assez cohérente avec les préoccupations majeures des défenseurs des logiciels libres.

(1) Cf.www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html

(2) Code de la propriété intellectuelle, art. L. 613-11 et suivants.

« Benoit de Roquefeuil »

Avocat-Directeur du département Contentieux informatique

benoit-de-roquefeuil@lexing.law

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