Éric Le Quellenec était l’invité le 9 décembre 2020 de l’émission de France Culture « Esprit de Justice » présentée par Antoine Garapon et consacrée aux audiences à distance.
Le 19 novembre dernier, étaient publiées au Journal officiel, trois ordonnances adaptant les règles applicables devant les juridictions judiciaires et administratives pendant la crise sanitaire, autorisant notamment les audiences en visoconférence.
C’était le thème qui était débattu dans le cadre de l’émission «Esprit de justice» d’Antoine Garapon, juriste et magistrat, secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice, le 9 décembre dernier et à laquelle participait Éric Le Quellenec, avocat à la Cour d’appel de Paris, membre du conseil de l’ordre, directeur du département Informatique Conseil du Cabinet Lexing Alain Bensoussan Avocat, et Katrin Becker, juriste et anthropologue, Maître-assistante en droit et culture à l’université du Luxembourg.
La téléjustice
Comme le rappelle Antoine Garapon, la pandémie a rendu trop risquée la réunion de tous les protagonistes du procès dans une même pièce, pendant parfois des jours. C’est pourquoi nombre de pays, dont la France, ont organisé à la hâte des audiences à distance.
Une téléjustice (à l’image de la télémédecine ou du téléenseignement) est-elle encore une justice ? Celle-ci n’est-elle pas « une coprésence devant un tiers de justice » comme la définit Levinas ?
Selon Éric Le Quellenec, « Face à une situation exceptionnelle qu’est celle de la Covid-19, il était nécessaire de réfléchir et de trouver des solutions concrètes pour assurer la continuité de la justice dans l’intérêt du justiciable, et bien entendu, en mettant en place des garde-fous ».
L’explosion des audiences à distance
Katrin Becker indique que ce phénomène n’est pas une surprise : « Je pense que l’idée d’une « visio-justice » fait partie d’une tendance générale de dématérialisation et de déterritorialisation. Il faut trouver des solutions pour assurer la tenue des audiences, mais je pense qu’il y a un grand risque à banaliser ou à généraliser cette pratique et à la faire persister après la pandémie ».
Aux yeux d’Éric Le Quellenec, Il y a une forme de froideur de la justice qui se doit d’être impartiale, mais qui, par l’intermédiaire de la vidéo-audience, devient presque trop distante : « On perd en interaction et en proximité. Il peut y avoir des difficultés dans la tenue même du débat : on perd en qualité et on peut même avoir de sérieux doutes sur la tenue d’un procès équitable ».
« Il est important de voir où est la liberté dans l’idée selon laquelle on se soumet au droit dès la naissance et que l’on est dès lors une personnalité juridique. Puisque le droit est lié à la langue, il y a sûrement un moment émancipateur du sujet. La Cour, les audiences et les procédures sont très importantes pour avoir un contact direct avec le droit. Sans ce contact-là, il n’y a pas d’acceptation et de légitimation possible », ajoute Katrin Becker
Et Éric Le Quellenec de conclure : « Pour moi, le procès est une tragédie grecque : il y a une unité de temps, de lieu et d’action avec une fonction cathartique du procès. A mesure que l’on va dématérialiser la retransmission du procès, toutes ces fonctions vont voler en éclats : il n’y aura plus d’unité de temps, puisqu’une audience sera peut-être vue sur différentes zones géographiques. Si on perd tout ça, on perd énormément : la justice doit être vue pour être faite, comme le dit ce célèbre adage anglais « Justice must be seen to be done ». »
Écouter l’émission : « Une téléjustice est-elle encore une justice ? », France Culture, 09-12-2020.
Eric Bonnet
Directeur de la communication juridique
Avocat, Lexing Alain Bensoussan Avocats