
Le 28 mars 2025, l’Autorité de la concurrence a infligé une amende de 150 millions d’euros à Apple pour abus de position dominante (1).
Cette décision fait suite à la mise en place par Apple du dispositif App Tracking Transparency (ATT), introduit en avril 2021, qui oblige les éditeurs d’applications tierces à obtenir le consentement explicite des utilisateurs autorisant l’application concernée à collecter leurs données à des fins de ciblage publicitaire.
Avant cela, plusieurs associations représentant les différents acteurs de la publicité en ligne avaient saisi l’Autorité de la concurrence fin 2020, ce dispositif étant perçu comme un obstacle aux possibilités de réaliser de la publicité ciblée pour les utilisateurs de terminaux Apple. Dans sa décision du 17 mars 2021, l’Autorité avait décidé de ne pas prononcer de mesures conservatoires, précisant que l’instruction devait être poursuivie au fond (2).


Quel est le contexte ?
L’Autorité de la concurrence sanctionne Apple
Le dispositif ATT est une fonctionnalité introduite par Apple en avril 2021 dans le but de renforcer la protection de la vie privée des utilisateurs d’appareils iOS (iPhones et iPads) aux opérations de collecte de leurs données sur des applications tierces dans l’écosystème iOS exploité par Apple.
Ce dispositif ATT impose aux éditeurs d’applications tierces de solliciter l’autorisation explicite des utilisateurs avant de pouvoir suivre leur activité à des fins publicitaires. Concrètement, cela se traduit par l’affichage de fenêtres de consentement lors de l’utilisation de l’application tierce, demandant aux utilisateurs s’ils acceptent le suivi publicitaire.
pouvoir mieux contrôler ses données
Apple sanctionné pour abus de position dominante
Si l’objectif affiché est de donner aux utilisateurs un meilleur contrôle sur leurs données personnelles, la mise en œuvre de l’ATT a suscité de nombreuses critiques de la part des acteurs du secteur de la publicité en ligne.
Ainsi, le dispositif ATT modifie profondément la manière dont le consentement des utilisateurs est recueilli pour le suivi publicitaire. En effet, avant son introduction, le suivi était souvent activé par défaut et les utilisateurs devaient eux-mêmes modifier les paramètres de leurs appareils pour le désactiver. Avec le dispositif ATT, Apple a inversé cette logique en exigeant un consentement préalable explicite, rendant le suivi inactif par défaut.
Cette approche a entraîné une diminution significative du taux d’acceptation du suivi, impactant directement les revenus publicitaires des éditeurs d’applications.




Un dispositif ni nécessaire ni proportionné
L’Autorité de la concurrence sanctionne Apple
L’Autorité de la concurrence ne juge ce dispositif ni nécessaire ni proportionné
Face aux plaintes de plusieurs associations professionnelles de la publicité en ligne, l’Autorité de la concurrence a ouvert une enquête sur les pratiques d’Apple liées au dispositif ATT.
Ainsi, si Apple est libre d’édicter des règles de protection des consommateurs supplémentaires à celles imposées par la réglementation, c’est à condition, compte tenu de la responsabilité particulière qui lui incombe en tant qu’opérateur dominant sur le marché de la distribution d’applications mobiles sur les terminaux iOS, de concilier cet objectif légitime avec le respect du droit de la concurrence.
Or, si le dispositif ATT n’est pas critiquable dans son principe au regard des bénéfices qu’il est susceptible d’apporter aux utilisateurs en matière de protection de leur vie privée, l’Autorité de la concurrence a constaté que les modalités de mise en œuvre concrètes de ce dispositif sont abusives au sens du droit de la concurrence, notamment, en ce qu’elles :
• rendent impossible la faculté pour les éditeurs de se conformer à leurs obligations légales ;
• compliquent artificiellement le parcours des utilisateurs d’applications tierces ;
• faussent la neutralité du dispositif ;
• créent une asymétrie de traitement entre Apple et les éditeurs tiers.
Le respect de la vie privée
Apple sanctionné pour abus de position dominante
Un dispositif qui ne répond pas aux exigences légales relatives à la vie privée
Le dispositif ATT ne permet pas aux éditeurs de se conformer à leurs obligations au titre du RGPD (3) ou de la loi Informatique et Libertés (4). En effet, ce dispositif consiste à demander le consentement des utilisateurs par l’affichage d’une fenêtre de format partiellement standardisé.
Cependant, l’Autorité de la concurrence a constaté que les paramètres standardisés de cette fenêtre ne permettent pas le recueil d’un consentement valable au regard du droit applicable tel qu’il résulte, notamment de la loi Informatique et Libertés et du RGPD.
Or, les éditeurs sont dans l’impossibilité d’insérer cette fenêtre issue du dispositif ATT les informations nécessaires au recueil d’un « consentement éclairé » au sens de ces réglementations. Ainsi, ces derniers sont obligés d’afficher une seconde fenêtre de consentement (appelée consent management platform ou « CMP ») pour se conformer à leurs obligations légales.




L'argumentation de l'Autorité
L’Autorité de la concurrence sanctionne Apple
Un dispositif artificiellement complexe
Cette situation engendre donc une multiplication des fenêtres de recueil de consentement. Cette multiplication a été jugée excessivement complexe pour les utilisateurs des applications tierces, ce que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avait déjà observé dans un avis de 2022 rendu à la demande de l’Autorité de la concurrence.
Ainsi, l’Autorité de la concurrence a considéré que cette approche ne répondait pas aux exigences légales en matière de protection de la vie privée.
L’absence de neutralité du dispositif
Dans le cadre du dispositif ATT, si le refus d’une opération de traçage publicitaire ne doit être effectué qu’une fois, l’acceptation d’une telle opération doit, quant à elle, toujours être confirmée une seconde fois par l’utilisateur.
Ainsi, l’Autorité de la concurrence a relevé que les règles encadrant l’interaction entre les différentes fenêtres de consentement portaient atteinte à la neutralité du dispositif, puisqu’il est plus facile de refuser le traçage publicitaire que de l’accepter.
L’asymétrie de traitement entre Apple et les éditeurs
Enfin, l’Autorité de la concurrence a constaté une asymétrie de traitement entre celui qu’Apple se réserve et celui qu’elle applique aux éditeurs.
En effet, alors que ces derniers doivent recueillir un double consentement auprès des utilisateurs pour les opérations de suivi sur les sites et applications tiers, Apple ne demandait pas le consentement des utilisateurs s’agissant de ses applications propres (jusqu’à la mise en œuvre d’iOS 15 en tout cas).
Cette circonstance a d’ailleurs conduit, en 2022, la Cnil à infliger une sanction à Apple pour avoir porté atteinte à l’article 82 de la loi Informatique et libertés provenant de la transposition la directive ePrivacy (5).




La décision de l’Autorité de la concurrence
L’Autorité de la concurrence sanctionne Apple
Dans sa décision du 28 mars 2025, l’Autorité de la concurrence a conclu que, bien que l’objectif de protection de la vie privée poursuivi par le dispositif ATT soit légitime, les modalités concrètes de sa mise en œuvre par Apple étaient abusives et résultaient de sa position dominante.
En conséquence, eu égard à la gravité des faits, à la durée de l’infraction (entre le 26 avril 2021 et le 25 juillet 2023) et à la puissance économique d’Apple, l’Autorité de la concurrence a décidé de prononcer à l’encontre des sociétés Apple Distribution International Limited et Apple Inc., en tant qu’auteures, et des sociétés Apple Operations International Limited et Apple Inc. en tant que sociétés mères, une amende de 150 000 000 euros.
L’Autorité de la concurrence adjoint à cette sanction pécuniaire une obligation pour Apple de publication du résumé de la décision sur son site internet pendant une durée de sept jours consécutifs.
Autorité de la concurrence et Cnil : un exemple de collaboration
Apple sanctionné pour abus de position dominante
Le 12 décembre 2023, l’Autorité de la concurrence et la Cnil ont publié une déclaration commune intitulée : « Protection des données et concurrence : une ambition commune », confirmant ainsi leur volonté d’approfondir leur coopération déjà bien établie (6).
Ainsi, au mois de septembre 2024, après avoir été saisie par la Cnil pour avis, l’Autorité de la concurrence a rendu un avis sur un projet de recommandations relatives aux applications mobiles (7). Cette saisine concrétisait pour la première fois les engagements pris par les deux institutions dans le cadre de leur déclaration conjointe.
La présente affaire constitue donc un nouvel exemple de coopération entre l’Autorité de la concurrence et la Cnil. En effet, l’Autorité de la concurrence a en effet bénéficié de deux avis rendus par la Cnil sur les différentes questions d’application de la législation relative à la protection de la vie privée soulevées par l’affaire, dont elle a tenu compte dans son analyse concurrentielle.


Notes de bas de page :
- Autorité de la concurrence, Décision 25-D-02 du 28 mars 2025 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité sur applications mobiles sur les terminaux iOS.
- Autorité de la concurrence, Décision n° 21-D-07 du 17 mars 2021 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par les associations Interactive Advertising Bureau France, Mobile Marketing Association France, Union Des Entreprises de Conseil et Achat Media, et Syndicat des Régies Internet dans le secteur de la publicité sur applications mobiles sur iOS.
- Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE.
- Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
- Commission nationale de l’informatique et des libertés, Délibération SAN-2022-025 du 29 décembre 2022.
- Déclaration conjointe du 12 décembre 2023 de l’Autorité de la concurrence et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
- Commission nationale de l’informatique et des libertés, Recommandation relative aux applications mobiles du 24 septembre 2024.

Frédéric Forster
Avocat, Directeur du pôle Télécommunications et Communications numériques

Frédéric Forster
Avocat, Directeur du pôle Télécommunications et Communications numériques
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