L’Autorité de la concurrence se prononce sur la mutualisation des infrastructures. L’arrivée de Free sur la marché de la téléphonie mobile, et les conditions dans lesquelles celle-ci a été rendue possible, continue de susciter beaucoup d’interrogations, notamment sur la viabilité d’un business model de type low cost alors que l’intensité capitalistique du secteur des télécommunications est par ailleurs bien connue de ses acteurs.
Alors que le régulateur sectoriel prône depuis quelques années les vertus de la concurrence par les infrastructures, en tant qu’élément important pour « assurer une dynamique concurrentielle et un haut niveau d’investissements » (1), l’Autorité de la concurrence, saisie par le ministre du redressement productif et la ministre déléguée chargée des PME, de l’innovation et de l’économie numérique, a rendu le 11 mars dernier un avis sur les conditions dans lesquelles la mutualisation entre opérateurs pouvait être envisagée (2).
Il faut dire que les conditions dans lesquelles Orange France accueille sur son réseau les abonnés Free a conduit à de nombreuses interrogations, voire à des fantasmes, dans la mesure où, par un coup de baguette magique et alors que le réseau de Free est encore peu déployé, Free a pu proposer à ses abonnés une offre disponible d’emblée sur l’ensemble du territoire national grâce à la couverture du réseau d’Orange.
Sans avoir eu à débourser d’abord quelques milliards d’euros avant de faire me premier euro de chiffre d’affaire, comme ce fut le cas pour les trois autres opérateurs, Free s’est donc retrouvée dans une situation où elle a pu proposer une offre nationale, a priori de bonne qualité technique et très peu chère.
Le résultat a été que les trois autres opérateurs ont été dans la quasi incapacité de répliquer commercialement suffisamment rapidement, ont perdu de nombreux clients, ce qui a déstabilisé leurs fondamentaux et les a conduit à annoncer des suppressions d’emploi, notamment, plus ou moins importantes selon l’opérateur concerné.
On comprend, dès lors, que le ministre du redressement productif et sa ministre déléguée se soient émus de cette situation et aient souhaité connaître la position des autorités sectorielle et de concurrence sur le sujet.
Ne se désolidarisant pas des positions prises par l’Arcep sur cette question, l’Autorité de la concurrence réaffirme son adhésion de principe à la concurrence par les infrastructures dont elle rappelle que « Ce modèle permet en effet de poursuivre plusieurs objectifs, parmi lesquels la mise en place d’une concurrence pérenne entre opérateurs de réseau, ainsi que la promotion de l’innovation et de la différenciation des offres. Il est également celui qui stimule le plus l’emploi et l’investissement » (3).
Dès lors, se pose la question du supposé avantage concurrentiel dont aurait pu bénéficier Free en signant son accord d’itinérance avec Orange.
Cet avantage existe t-il réellement ? Suscite-t-il des préoccupations de concurrence particulières ? SI oui, ces préoccupations ne seraient-elles pas justifiées par les enjeux considérables que représentent les investissements énormes que demande le déploiement des réseaux de quatrième génération à un moment où les capacités financières des opérateurs sont plus réduites que par le passé ?
On le sait, tout rapprochement, même simplement fondé sur des bases contractuelles, d’acteurs présents au même niveau de la chaîne de valeur, est par nature à considérer avec attention car il peut déclencher des comportements de nature collusive et conduire à la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles, soit d’entente, soit d’abus de position dominante collective.
Plus particulièrement, s’agissant du marché de la téléphonie mobile qui a déjà été analysé comme présentant des caractéristiques propices à ce genre de comportements, l’Autorité de la concurrence a dressé la liste des critères pertinents pour apprécier l’impact concurrentiel d’accords de partage d’infrastructures :
- l’intensité de la coopération entre les parties à l’accord : partager des infrastructures passives ce n’est pas la même chose que de partager des fréquences ou des infrastructures actives ;
- le pouvoir de marché acquis conjointement par les partenaires à l’accord, qui dépend de leur taille, de leur puissance et de leur complémentarité ;
- les caractéristiques des zones concernées par l’accord : partager des infrastructures dans des zones peu denses a du sens ; le faire dans des zones denses est, en revanche, sujet à caution.
Ainsi, l’Autorité de la concurrence dégage t’elle les règles suivantes, tout en précisant qu’un examen au cas par cas restera toujours nécessaire :
- un accord dans des zones peu denses ou dans des zones de déploiement prioritaires est envisageable, avec une réserve pour les accords de partage de fréquences ;
- un accord limité aux infrastructures passives dans les zones denses peut se concevoir alors que le partage de fréquences dans de telles zones est quasiment à exclure et que le partage d’infrastructures actives doit y être regardé avec beaucoup d’attention et circonspection.
S’agissant plus spécifiquement de la relation nouée entre Free et Orange, l’Autorité réaffirme que la mutualisation, qu’elle avait elle-même suggérée, était nécessaire à l’émergence du quatrième opérateur, car de nature à abaisser les barrières à l’entrée constituées par les coûts de déploiement du réseau.
Pour autant, l’Autorité considère aujourd’hui que cette mutualisation doit être limitée dans le temps, afin de stimuler l’augmentation des investissements de Free, lui permettre de se différencier sur le marché grâce à la maîtrise de tous les éléments de son réseau et de limiter les effets négatifs sur le marché et sur les autres opérateurs en place.
Ainsi, alors que le contrat liant Free à Orange court encore jusqu’en 2018 pour l’itinérance 3G, l’Autorité de la concurrence préconise une extinction de ce contrat quelque part entre 2016 et 2018. La date précise devrait être déterminée après un examen conjoint entre l’Autorité de la concurrence et l’Arcep, tenant compte de l’augmentation de la couverture de Free et de ses investissements mis en perspective avec les obligations de sa licence.
Concernant l’itinérance 4G dont bénéficie Free auprès de SFR (mais qui n’a pas encore fait l’objet de la conclusion d’un contrat) l’Autorité de la concurrence considère qu’elle devrait rester cantonnée aux zones de déploiement prioritaires, en excluant les zones denses pour l’équipement desquelles Free aurait pu déposer une offre plus alléchante que celle qu’elle a faite au moment de la mise aux enchères des fréquences dans la bande des 800 MHz.
Frédéric Forster
Lexing Droit Télécoms
(1) Arcep, communiqué de presse du 12-3-2013.
(2) Autorité de la concurrence, avis 13-A-08 du 11-3-2013.
(3) Autorité de la concurrence, communiqué de presse du 12-3-2013.