La notion de BIM n’est pas mentionnée dans la loi MOP, ce qui ne doit pas conduire à écarter cette méthode de travail.
Il existe plusieurs montages contractuels applicables à la construction d’ouvrages publics dans lesquels le BIM peut s’insérer. Ces contrats peuvent être soumis au régime général de la loi MOP, au régime de conception-réalisation ou encore aux règles relatives aux partenariats publics-privés.
La loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP, est un des textes principaux qui encadre en France le droit de la construction publique. Cette loi a été suivie par le décret n°93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d’œuvre confiées par des maîtres d’ouvrage publics à des prestataires de droit privé et par l’arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d’exécution des éléments de mission de maîtrise d’œuvre confiés par des maîtres d’ouvrage publics à des prestataires de droit privé.
La loi MOP doit aujourd’hui s’adapter à la transformation digitale du secteur de la construction. Au cœur de cette transformation se retrouve le Building information modeling (BIM) (1). Le BIM s’entend comme une « méthode de travail basée sur la collaboration autour d’une maquette numérique. Dans un processus de conception BIM, chaque acteur de la construction utilise cette maquette, initialement conçue par l’architecte, et en tire les informations dont il a besoin pour son métier. En retour, il alimente la maquette de nouvelles informations pour aboutir au final à un objet virtuel, parfaitement représentatif de la construction. La maquette numérique est actualisée tout au long de la vie de l’ouvrage, de la conception à la construction, de la livraison à sa déconstruction » (2).
Le BIM dans le programme de l’opération de construction
Dans le cadre de la loi MOP, le maître de l’ouvrage, personne pour laquelle l’ouvrage est construit, doit, entre autres obligations, définir le programme de l’opération de construction (article 2).
Le maître de l’ouvrage doit définir dans ce programme « les objectifs de l’opération et les besoins qu’elle doit satisfaire ainsi que les contraintes et exigences de qualité sociale, urbanistique, architecturale, fonctionnelle, technique et économique, d’insertion dans le paysage et de protection de l’environnement, relatives à la réalisation et à l’utilisation de l’ouvrage ». Cette obligation d’établissement d’un programme est également reprise dans l’article 30 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.
Dans l’hypothèse où le maître d’ouvrage choisirait, dans son programme, l’utilisation du BIM, il conviendra d’adapter le schéma contractuel aux spécificités techniques du BIM et aux dispositions spéciales de la loi MOP.
En effet, ladite loi impose que, pour la réalisation de l’ouvrage, la mission du maître d’œuvre, chargé des études et de la direction des travaux, soit distincte de celle de l’entrepreneur, chargé quant à lui de la réalisation des travaux (article 7).
En conséquence de cette interdiction du cumul des missions, les dispositions contractuelles doivent organiser la transition de la maquette BIM du maître d’œuvre (BIM en phase de conception) à l’entrepreneur (BIM en phase d’exécution). Cette disposition pourra intégrer des exigences plus ou moins fortes aux différents acteurs et notamment les éléments suivants :
- l’interopérabilité entre les solutions techniques de BIM utilisées ;
- les modalités de récupération des données par l’entrepreneur (transfert des données à l’entrepreneur ou nécessité de ressaisie de l’ensemble de ces données par l’entrepreneur) ;
- le partage des droits d’utilisation des données créées par le maître d’œuvre avec l’entrepreneur.
La phase de programmation doit également se matérialiser par la rédaction d’un cahier des charges consacré au BIM. Ce cahier des charges a pour objet de présenter les attentes et exigences du maître d’ouvrage quant à l’utilisation de cette méthode. Il devra donc traiter des fonctionnalités de la maquette numérique, des méthodes de travail, des performances attendues, du niveau de sécurité imposée pour protéger les données traitées, du droit d’accès et de communication, des conditions de gestion de la maquette numérique, des règles d’utilisation ou encore des résultats, définis par livrables, attendus.
Pour la réalisation de ce cahier des charges et l’accompagnement du maître d’ouvrage dans le déploiement du BIM, ce dernier pourra se f aire accompagner par un assistant à maîtrise d’ouvrage spécialiste du BIM (AMO BIM).
Répartition des missions dans le respect de la loi MOP
Le BIM ne change rien aux missions des différents acteurs telles que définies par la loi MOP. La maquette numérique va cependant offrir de nouveaux moyens et opportunités.
Le BIM va notamment être au cœur des missions du maître d’œuvre. L’article 7 de la loi MOP précise que le maître d’ouvrage peut confier les missions suivantes au maître d’œuvre :
1. Les études d’esquisse ;
2. Les études d’avant-projets ;
3. Les études de projet ;
4. L’assistance apportée au maître de l’ouvrage pour la passation du contrat de travaux ;
5. Les études d’exécution ou l’examen de la conformité au projet et le visa de celles qui ont été faites par l’entrepreneur ;
6. La direction de l’exécution du contrat de travaux ;
7. L’ordonnancement, le pilotage et la coordination du chantier ;
8. L’assistance apportée au maître de l’ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement.
Lorsqu’il est utilisé pour ces missions, le BIM devient un outil central à disposition, tout d’abord, du maître d’œuvre, puis des autres acteurs pour la réalisation de leurs missions respectives. La maquette numérique pourra ainsi permettre la réalisation des études d’exécution par la réalisation de plans d’exécution et la mise en cohérence technique des documents, conformément à l’article 8 du décret 93-1268 du 29 novembre 1993.
Le BIM, en tant que méthode de travail collaborative, peut conduire à l’entremêlement des interventions des différents acteurs au titre de missions plus ou moins proches. Des incertitudes juridiques, auxquelles la loi MOP n’apporte pas de réponse, peuvent alors naître pour lesquelles il est possible de trouver une solution contractuelle. Ainsi, pour que chacun des intervenants respecte ses obligations, telles que prévues par la loi, il convient d’intégrer clairement dans le document contractuel (pouvant prendre la forme d’un protocole BIM) :
- une définition claire de l’ensemble des termes, afin que le détail des missions de chaque intervenant puisse être explicitement défini ;
- une répartition précise des missions et un partage de responsabilité en cas de défaillances ;
- la mise en œuvre d’un comité de pilotage ;
- des éléments quant aux évolutions de la maquette et la manière dont chaque intervenant devra s’y conformer ;
- le rôle du BIM manager ;
- des dispositions quant au contrôle de l’utilisation de la maquette numérique ;
- les conditions d’intégration éventuelle de prestataires tiers.
Bien que la loi MOP ne traite pas du BIM, il n’existe pas d’incompatibilité manifeste. La loi MOP pose un cadre que les documents contractuels doivent retranscrire pour l’utilisation du BIM mais aussi et surtout préciser et affiner, afin d’écarter au maximum les insécurités juridiques. Cependant il pourrait être opportun d’intégrer une disposition dans la loi concernant les missions devant être confiées à la personne en charge du BIM management. Cet ajout aurait également pour avantage de promouvoir la pratique du BIM.
François Jouanneau
François Gorriez
Lexing Droit Marchés publics
(1) Lire notre Post du 31-3-2017
(2) Mission Numérique Bâtiment, Rapport de M. Bertrand Delcambre pour le ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, 12-2014