Véritable feuilleton à rebondissement concurrençant les plus longues séries américaines, l’adoption du brevet unitaire connait un nouveau revers avec le report sine die de son vote par le Parlement européen en juillet dernier.
Alors que les pays de l’Union Européenne semblaient, après trente-cinq années de tentatives infructueuses, voir le bout du tunnel avec l’adoption du « paquet brevet », le Parlement européen a reporté sine die le vote prévu deux jours plus tard après que le Conseil de l’Europe ait, en dernière minute, décidé de supprimer plusieurs articles clés de l’accord prévu.
Bref résumé de cette saga débutée en 1975.
L’absence de système de protection unifié au sein de l’Union européenne
Contrairement au droit des marques, qui a vu naître la marque communautaire dès 1994 (1), il n’existe pas, à ce jour, de système unique de protection des brevets au sein de l’Union européenne.
Deux systèmes de brevet coexistent actuellement en Europe.
Le premier est le classique système des dépôts nationaux, consistant à déposer, dans chaque pays pour lequel une protection est souhaitée, une demande de brevet. Chaque Office national des brevets procède alors à l’examen de la demande, selon la réglementation de l’Etat concerné et octroie, le cas échéant, un titre national de protection de l’invention déposée.
Si le demandeur souhaite protéger son invention dans la totalité des pays de l’Union européenne, il devra donc effectuer 27 demandes de brevet dans la langue de l’Etat concerné, demandes qui seront examinées selon autant de procédures distinctes et permettront d’obtenir, au mieux, 27 titres de propriété industrielle différents et au pire, des décisions sur la protection de l’invention différentes voire contradictoires selon les Offices.
Afin de remédier en partie à cette lourdeur, il est possible d’opter pour un dépôt de brevet européen devant l’Office européen des brevets (OEB). Ce second système, régi par la Convention sur le brevet européen (CBE), dont la première version a été adoptée en 1973, propose en effet une procédure uniforme de traitement des demandes de protection auprès de l’OEB qui regroupe, à ce jour, près de quarante états européens.
Pour autant, ce système ne permet pas d’obtenir un titre de protection uniforme, le déposant devant ensuite faire valider la demande de brevet dans chaque pays pour lequel une protection est souhaitée impliquant, ici encore, la multiplication des formalités et coûts administratifs. En outre, le titre octroyé demeure régi par les lois nationales de chaque état dans lequel le brevet est protégé.
Dans les deux cas, la multiplicité des procédures, les frais de traduction et autres formalités administratives entraînent un surcoût non négligeable, puisque la Commission européenne estime qu’à ce jour la revendication d’une protection dans quelques 13 états de l’Union européenne coûte 10 fois plus chère qu’aux Etats-Unis.
En outre, le fait que les brevets européens soient soumis, au cours de leur existence, à des réglementations et à la compétence de juridictions nationales distinctes est source d’incertitude quant à la validité et la valeur du titre octroyé.
Cette situation conduit la plupart des entreprises et particuliers à renoncer à revendiquer une protection dans la totalité des pays de l’Union européenne pour la limiter à quelques pays très stratégiques.
Un projet quasi quarantenaire
Pourtant, dès 1975, la Convention de Luxembourg a eu pour objectif de pallier ces lacunes en créant un titre uniforme, valable dans l’ensemble des Etats membres. Elle n’est jamais entrée en vigueur et depuis, le spectre du brevet unitaire réapparaît régulièrement pour finalement achopper sur des querelles principalement linguistiques.
Les évènements semblaient toutefois se précipiter depuis décembre 2010, lorsque, pour contourner les dernières réticences linguistiques de quelques états, la Commission européenne a proposé, à la demande de douze états membres, dont la France, la mise en place d’un système de « coopération renforcée », proposition approuvée deux mois plus tard par le Parlement.
Pour rappel, la « coopération renforcée », instaurée par le traité de Lisbonne, constitue un moyen de contourner le blocage d’un dossier législatif en permettant à un minimum de neuf Etats, qui le souhaitent, de coopérer entre eux, tout en bénéficiant du cadre institutionnel européen. Les pays non participants demeurent libre de rejoindre le processus ultérieurement.
Approuvée dès le mois de février 2011 par le Parlement, la coopération renforcée devait permettre la création, pour l’ensemble des états de l’Union, à l’exception de l’Espagne et de l’Italie, d’un brevet unitaire à moindre coût, les pays non participants pouvant, à tout moment, rejoindre le processus de coopération (2).
L’accord sur le « paquet brevet »
A la fin de l’année 2011, le Parlement et le Conseil européens devaient parvenir à un accord politique avec la création du fameux « paquet brevet », composé de trois piliers :
- le premier portant sur la création d’un brevet unitaire via la coopération renforcée mise en place, concrétisé par la proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection par brevet unitaire du 13 avril 2011 (3) ;
- le second portant sur le régime de la langue applicable, concrétisé par la proposition de Règlement du Conseil en ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction du 13 avril 2011, les langues officielles prévues étant les langues officielles actuelles de l’OEB, à savoir, l’anglais, l’allemand et le français (4) ;
- le dernier portant sur la création d’une juridiction spécialisée en matière de brevet unitaire et sa localisation.
Si le recours à la coopération renforcée résulte précisément du blocage de l’Espagne et de l’Italie sur la détermination des langues officielles, les deux premiers points ont rapidement pu faire l’objet d’un accord politique entre le Parlement et le Conseil à la fin de l’année 2011.
Le point délicat résidait donc dans la détermination du siège de la division centrale de la Cour, à savoir Paris, Londres ou Munich, où se situe déjà le siège de l’OEB.
4. Le « coup de Trafalgar » du Conseil. La nouvelle juridiction unifiée en matière de brevets doit avoir compétence exclusive pour statuer sur les actions relatives à la validité d’un brevet unitaire européen ou à la contrefaçon, de sorte que la détermination de son siège apparaît hautement politique. A force de négociations, les chefs d’état ou de gouvernement européens ont finalement trouvé un compromis lors du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 :
- à Paris reviendrait le prestige d’accueillir le siège de la division centrale du tribunal de première instance de la juridiction unifiée en matière de brevets, ainsi que les affaires relatives au textile et à l’électricité ;
- tandis que seraient créées deux sections spécialisées de la division centrale à Londres pour la chimie et la pharmacie et à Munich pour la mécanique et l’ingénierie (5).
Mais, pour parvenir à un tel accord, force est de constater que certains pays ont dû faire des concessions et pour cela remettre en cause le projet de texte sur lequel le Conseil et le Parlement s’étaient accordés six mois plus tôt et dont le vote par le Parlement devait avoir lieu la semaine suivante.
L’objet de la mutilation et pomme de la discorde entre le Conseil et le Parlement ? La suppression des articles 6 à 8 de la proposition de règlement sur le brevet unitaire : alors que les deux premiers définissent la violation d’un brevet unitaire, l’article 8 délimite les droits conférés par ce dernier.
Volonté de simplification pour le Conseil, cette suppression de dernière minute est perçue par le Parlement comme la volonté de vider le projet de son essence même : « L’initiative du Conseil européen de supprimer 3 articles clés de la réglementation, tant attendue, sur le brevet de l’UE et, par conséquent, de réduire considérablement le pouvoir de la Cour européenne de justice de l’appliquer, viole le droit de l’UE, a déclaré M. Rapkay.
« Si vous retirez ce contenu, il ne reste rien à réglementer » a-t-il souligné, ajoutant que ce qui resterait « ne serait pas efficace du tout » pour veiller à la protection des droits des brevets à l’échelle européenne » (6).
Et pour marquer son opposition, le Parlement de reporter le vote prévu le 4 juillet sine die.
Le prochain épisode ? Le Parlement devrait de nouveau examiner le texte à la rentrée…l’espoir de pouvoir déposer un brevet unitaire d’ici 2014 n’est donc pas totalement perdu…
(1) Règlement (CE) n° 40-94 du 20-12-1993
(2) Parlement européen, Communiqué de presse du 15-2-2011
(3) PRE COM(2011) 215 final du 13-4-2011
(4) PRE COM(2011) 216 final du 13-4-2011
(5) Conseil européen, Conclusions EUCO 76/12 du 29-6-2012
(6) Parlement européen, Communiqué du 10-7-2012