Les caméras-piéton, petits systèmes d’enregistrement situés au niveau de la poitrine, sont amenées à se généraliser.
C’est en tout cas l’un des objectifs du projet de loi « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » déposé par le nouveau Garde des sceaux, Monsieur Jean-Jacques Urvoas, le 3 février 2016 à l’Assemblée nationale, dont l’article 32 vise à encadrer le recours à ce procédé en vue de leur prochain développement.
Comme l’énonce ledit article 32, les « caméras-piéton » ont une vocation très large puisqu’il s’agit pêle-mêle de « prévenir les incidents au cours des interventions des agents de la police nationale et des militaires de la Gendarmerie nationale, constater les infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves, s’assurer du respect par les agents et militaires des obligations leur incombant et la formation de ces agents et militaires ».
Aussi, cherchant à combler le vide juridique qui préexiste à l’utilisation de ces dispositifs – utilisés par les forces de l’ordre depuis 2013 à titre expérimental-, l’article 32 du projet tente de répondre aux deux problématiques majeures qui sous-tendent leur utilisation :
- quelles garanties disposent les personnes filmées quant à la protection de leur vie privée ?
- quelles procédures permettent d’assurer le respect de la réglementation sur les données à caractère personnel ?
A cette dernière question, le projet de loi répond de manière concrète que :
- « Une information générale du public sur l’emploi de ces caméras est organisée par le ministère de l’Intérieur » ;
- « Les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent » ;
- « Les enregistrements audiovisuels, hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, sont effacés au bout de six mois ».
Ces dispositions, bien que précises, omettent toutefois de mentionner si les articles 41 et 42 de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, qui déterminent le droit d’accès d’une personne concernée par un traitement intéressant la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, s’appliquent aux images prises par les « caméras-piéton ».
Le décret en Conseil d’État qui devra préciser les modalités d’application de cet article et d’utilisation des données collectées devrait apporter un éclaircissement sur ce point.
Concernant les garanties de protection du droit à la vie privée, l’article 32 du projet de loi est moins convaincant puisque comme seules garanties, il mentionne que :
- « Les caméras sont portées de façon apparente par les agents et les militaires. Un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre. Le déclenchement de l’enregistrement fait l’objet d’une information des personnes enregistrées, sauf si les circonstances l’interdisent » ;
- « L’enregistrement n’est pas permanent. Il est déclenché lorsqu’un incident se produit ou, eu égard aux circonstances de l’intervention ou du comportement des personnes concernées, est susceptible de se produire ».
L’utilisation des caméras-piéton ainsi que l’information des personnes enregistrées sont ainsi laissées au libre-arbitre des policiers et gendarmes, sans que rien ne précise quelles sont les « circonstances » justifiant le déclenchement de l’enregistrement et, a fortiori, l’absence d’informations des personnes enregistrées.
Enfin, le projet de loi fait l’impasse sur la valeur probatoire que revêt de tels enregistrements. Ont-ils valeur de simples renseignements, comme la plupart des procès-verbaux de police constatant un délit ? Ou, à l’inverse, font-ils foi jusqu’à preuve contraire, comme les procès-verbaux en matière de circulation routière ?
Si aucune précision ne vient compléter les dispositions de l’article 32 du projet de loi « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale », les « caméras-piéton », à n’en pas douter, seront à l’origine d’un contentieux qui n’est pas prêt de s’achever.
Virginie Bensoussan-Brulé
Julien Kahn
Lexing Droit pénal numérique
(1) Projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, n° 3473 du 3-2-2016.