La loi 2016-731 du 3 juin 2016 précise les conditions d’utilisation des caméras individuelles par les forces de l’ordre.
Depuis 2003, l’utilisation de caméras individuelles mobiles, dites « caméras piétons », fixées sur les agents de police et les militaires de la Gendarmerie fait l’objet d’une expérimentation (avis présenté par M. Philippe Paul, enregistré à la présidence du Sénat le 16 mars 2016, n°476). La « caméra piéton » est positionnée au niveau de l’épaule de l’agent avec une sangle, une diode rouge allumée pour signaler que l’enregistrement est en cours. Les données sonores et vidéos collectées sont ensuite « intégrées dans un logiciel informatique [et] sont cryptées ».
Caméras individuelles : un vide juridique comblé
La loi 2016-731 est entrée en vigueur le 4 juin 2016. Avant cette date, aucun régime juridique n’encadrait l’usage des caméras individuelles par les forces de l’ordre.
Un tel dispositif, enregistrant images et paroles, est pourtant attentatoire au respect de la vie privée. Vie privée qui bénéficie d’une protection conventionnelle (article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme), constitutionnelle (article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789) et légale (article 9 du Code civil).
Ce nouveau régime ne doit pas être confondu avec celui de la vidéoprotection régit par le titre V du livre II du Code de la sécurité intérieure.
Un niveau dispositif destiné à la Police nationale et la Gendarmerie
La loi 2016-731 insère un nouveau titre dans le code de la sécurité intérieure intitulé « Caméras mobiles ». Ce titre intègre l’article L. 241-1 qui précise le régime juridique applicable à l’usage de ces caméras. La loi précise ainsi que ce nouveau dispositif pourra équiper les agents de la Police nationale et les militaires de la Gendarmerie nationale.
Cet équipement sera utilisé, dans l’exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l’ordre public, de protection de la sécurité des personnes et des biens, dans leurs missions de police judiciaire.
Les « caméras piétons » pourront être utilisées :
- en tous lieux (zones privées : domicile privé des personnes);
- lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées.
Ce dispositif de caméra n’est pas destiné à être utilisé lors des interventions des agents de l’administration des Douanes. Ni par l’administration pénitentiaire. Ni par les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle.
Caméras individuelles : les finalités de l’enregistrement
L’enregistrement ne doit pas être permanent. Il doit répondre à l’une des finalités suivantes :
- la prévention des incidents au cours des interventions des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale ;
- le constat des infractions ;
- la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ;
- la formation et la pédagogie des agents.
Comme le précise le Conseil d’Etat (CE, 28 01 2016, avis n° 391004), l’usage de « caméras piétons » pourra donc se rattacher à des missions de police administrative et judiciaire et aux procédures disciplinaires.
Les conditions d’accès aux enregistrements
Les caméras doivent être portées de façon apparente par les agents et les militaires. Un signal visuel spécifique doit aussi indiquer si la caméra enregistre. Le déclenchement de l’enregistrement fait l’objet d’une information des personnes filmées. L’enregistrement n’est pas réalisé si les circonstances l’interdisent (respect de l’intimité de la personne par exemple).
La loi reste silencieuse sur le pouvoir d’appréciation laissé à l’agent quant à l’opportunité du déclenchement de la caméra. De même que sur l’orientation de la prise de vue. Sur ce point le sénateur Daniel Reiner précise qu’« avec la disposition sur les caméras ajoutée par l’Assemblée nationale, on va au-devant de litiges ». Selon ce dernier « Le but de ces caméras est que tout s’effectue dans un cadre correct et légal ». Il précise qu’ « Il faut laisser la possibilité à celui qui interpelle de maitriser l’enregistrement. C’est du bon sens. » (Avis présenté par M. Philippe PAUL, le 16 mars 2016, n° 476, préc.).
Enfin, les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir un accès direct aux enregistrements. Les enregistrements audiovisuels doivent être effacés au bout de six mois. Sauf dans le cas où ils sont utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire.
Un décret en Conseil d’Etat, après avis de la Cnil, précisera les modalités d’application de ce nouveau régime juridique.
L’apaisement du déroulement des opérations de police
Selon la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), « le fait de filmer les interventions de maintien de l’ordre et les contrôles d’identité via le recours au dispositif de vidéo mobile (…) seraient de nature à en apaiser le déroulement ». La Commission ajoute que « ce dispositif permettrait l’objectivation des faits (image/son), notamment lors d’une procédure judiciaire, tout en protégeant les libertés individuelles ». La Commission précise que cela renforcerait «la transparence de l’action policière » (Avis présenté par M. Philippe Paul, enregistré à la présidence du Sénat le 16 mars 2016, n°476).
Un tel dispositif peut cependant être perçu par les policiers et militaires comme un moyen de contrôle. Il pourrait faire de ces derniers des cibles. Un individu pourrait par exemple chercher à s’attaquer à la caméra mobile portée sur l’agent ou le militaire (« Caméras-piéton sur les uniformes: syndicats et policiers réservent un accueil favorable au dispositif », Huffington Post, A. Oster, 29 09 2013).
Caméras individuelles : les questions en suspens
Le nouveau régime de l’article L. 241-1 laisse subsister de nombreuses interrogations juridiques. Le décret d’application y répondra-t-il ? Demeure sans réponse, la question du droit d’accès aux enregistrements par les personnes filmées. Le droit d’accès constitue en effet une garantie essentielle du respect des droits des personnes concernées (art. 40 à 42 de la loi Informatique et libertés). Dans son rapport d’activité de 2015, la Cnil a relevé que « des questions similaires se posent pour l’ensemble des caméras mobiles utilisées par les autorités publiques ». Ces questions se posent « qu’il s’agisse de caméras embarquées sur des véhicules par exemple ou encore de drones ».
Un agent ou militaire pourrait être sanctionné dans l’hypothèse où il omettrait de déclencher l’enregistrement alors qu’un incident se déroule.
Enfin, ce nouveau régime juridique n’apporte aucune précision sur la valeur probatoire des enregistrements. Et notamment sur le point de savoir s’ils auront une simple valeur de renseignement ou s’ils feront foi jusqu’à preuve contraire.
L’expérimentation des camérais par la police municipale
La loi 2016-731 prévoit également qu’à compter de sa promulgation, durant deux ans et à titre expérimental, les agents de police municipale pourront procéder, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions. Cette expérimentation doit être réalisée sur autorisation du Gouvernement. Elle est subordonnée à plusieurs conditions. Une demande préalable du maire et à l’existence d’une convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l’Etat. Les conditions de l’expérimentation seront fixées par décret en Conseil d’Etat.
Didier Gazagne
François Gorriez
Lexing Sécurité et Défense.