Concurrence Informatique Le marché de la tierce maintenance et les risques d’atteinte à la concurrence Le Conseil de la concurrence vient de rendre une décision qui illustre les difficultés que rencontrent bien souvent les acheteurs d’équipements industriels ou informatiques, pour confier la maintenance des matériels à des tiers mainteneurs et pour survivre sur un marché souvent préempté par les fabricants. Passée relativement inaperçue puisqu’elle a conduit au prononcé d’un non-lieu, elle mérite qu’on s’y attarde. En effet, les équipements industriels – tout comme les serveurs informatiques – sont de plus en plus sophistiqués et leur maintenance préventive et curative nécessite l’utilisation d’outils logiciels de diagnostic. Ainsi, certains fabricants peuvent avoir la tentation d’invoquer, notamment, leurs droits de propriété intellectuelle sur ces logiciels, pour se réserver l’accès au marché fort rentable de la maintenance de ces équipements. La tierce maintenance La saisine du Conseil de la concurrence portait sur le domaine de la maintenance des onduleurs, définis comme « des appareils utilisés pour supprimer les effets des différentes perturbations dont l’énergie électrique peut être l’objet, comme les coupures ou les variations de tension du courant ». En particulier, la saisine concernait les onduleurs de puissance moyenne et forte, destinés à sécuriser des systèmes sensibles (serveurs informatiques, appareils électroniques utilisés dans les hôpitaux), et qui requièrent la mise en place de contrats de maintenance préventive ou curative. Le conseil relève, ainsi, que trois types d’intervenant sont actifs en France dans le secteur de la maintenance de ces onduleurs : les fabricants eux-mêmes, qui assurent la maintenance de leurs propres produits, mais interviennent peu sur les matériels concurrents ; les « facility managers » (installateurs et électriciens) qui interviennent plutôt sur le secteur de la maintenance préventive ; les tiers mainteneurs composés de petites et moyennes entreprises. Une structure donc très proche de celle de la maintenance des équipements informatiques. Le Conseil ne tire, néanmoins, pas de conclusion particulière quant à l’existence d’une éventuelle position dominante dans cette affaire, en relevant qu’ « une part non négligeable de la maintenance de la base installée des appareils de la marque […] est ouverte à la concurrence d’acteur indépendant », le fabricant n’assurant la maintenance que de 45 % des appareils. L’accès aux outils de diagnostic : un possible verrouillage du marché La saisine émanait, en l’espèce, du Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, qui considérait que le fabricant en cause, « en verrouillant les logiciels par un code confidentiel », avait entendu « rendre incontournables ses « interventions de maintenance sur les onduleurs de sa marque et se réserver, ainsi, la maintenance de ces modèles ». Le Conseil de la concurrence rejette cet argumentaire, mais précise, toutefois, dans sa décision que : « Néanmoins, le verrouillage, par une entreprise en position dominante, de l’accès à des fonctions essentielles des appareils qu’elle fabrique, sans nécessité objective, au risque d’éliminer toute concurrence dans la maintenance ou la réparation de ces appareils, pourrait constituer un abus prohibé par l’article L. 420-2 du Code de commerce ». Le Conseil ouvre donc la porte à une action fondée sur le droit de la concurrence, face à des pratiques de verrouillage par les fabricants du marché de la maintenance, notamment par des restrictions d’accès aux outils de diagnostic, ou logiciels embarqués. Ces conditions sont néanmoins drastiques puisqu’il convient de démontrer : que le verrou doit bloquer l’accès « à des fonctions essentielles » des appareils en cause, ce qui renvoie à la théorie des infrastructures essentielles ; que ce verrou ne doit pas obéir à une nécessité objective ; en l’espèce, l’entreprise mise en cause ne faisait pas valoir ses droits de propriété intellectuelle, mais l’extrême sensibilité de l’intervention sur les paramètres du logiciel et les conséquences que pourrait avoir toute mauvaise manipulation sur l’intégrité de l’onduleur et la sécurité des biens et des personnes ; le risque d’éliminer toute concurrence dans la maintenance des appareils en cause, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, puisqu’une forte concurrence semblait exister sur ce secteur. Le Conseil justifie, en l’espèce, le prononcé d’un non-lieu par le fait que l’enquête et l’instruction n’ont pas permis de démontrer que « la mise en place de logiciels embarqués a rendu l’intervention [du fabricant] incontournable dans le cadre de l’exercice des activités des sociétés de tierce maintenance ». Le refus de fourniture des pièces détachées : un possible abus de position dominante Le Conseil de la concurrence refuse également de poursuivre la procédure, concernant la fourniture des pièces détachées par ces mêmes fabricants, estimant qu’aucune démonstration d’un refus de livraison n’a été effectuée. Il apporte, néanmoins, une précision extrêmement intéressante, sur la base de la jurisprudence française et communautaire, en constatant : que le fabricant en cause était le seul à fabriquer les pièces nécessaires à la réparation des onduleurs et qu’il détenait donc, en raison de ce monopole, une position dominante sur le marché de la fourniture de ces pièces détachées à des tiers ; « de ce fait, le refus de livrer ces pièces détachées, sans nécessité objective, ou de les livrer à des conditions de prix et de délais discriminatoires pourrait avoir pour objet ou pour effet de réserver le marché de la réparation de ses appareils au seul fabricant et pourrait constituer ainsi un abus prohibé par l’article L. 420-2 du Code de commerce ». Il en résulte que le Conseil de la concurrence, s’il pose des conditions extrêmement restrictives à l’accès à des logiciels embarqués, se montre, néanmoins, plus sévère vis-à-vis des fabricants, en ce qui concerne la fourniture des pièces détachées. Sur ce point, rappelons qu’en matière automobile, l’article 4.2 du règlement d’exemption du 31 juillet 2002 prévoit que l’exemption ne s’applique pas, notamment en cas de refus du fournisseur, « aux opérateurs indépendants [de] l’accès aux informations techniques, aux équipements de diagnostic et autres, aux outils y compris les logiciels appropriés […] pour la réparation et l’entretien de ces véhicules automobiles ». Un long chemin semble devoir encore être parcouru pour les entreprises