Les DRM ou Digital Rights Management « Gestion des droits numériques » désignent la technologie de sécurisation d’une œuvre numérique et de gestion des droits d’accès à cette œuvre. Par le biais de quatre composants- l’encodeur qui crypte les fichiers protégés par le droit d’auteur, le serveur de streaming qui permet l’accès aux fichiers, le lecteur qui déchiffre le codage et le logiciel de gestion de droits qui détermine à qui reviennent les droits et selon quelle répartition- l’architecture DRM permet : d’une part, de tracer les actes de l’utilisateur des fichiers afin de vérifier s’il est autorisé à accéder aux fichiers puis s’il respecte bien les droits de l’auteur ; d’autre part, d’empêcher ou de limiter l’accès à l’œuvre ou les copies possibles de l’œuvre numérique. Cette deuxième fonction de verrou a été habilitée par la Directive communautaire 2001/ 29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects des droits d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, puis par le Projet de loi de transposition « DADVSI » (relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information) présenté le 12 novembre 2003. En effet, ces deux textes officialisent la protection des « mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droits d’auteur d’une œuvre, interprétation, phonogramme, vidéogramme ou programme en dehors des logiciels ». Ces mesures sonnent-elles le glas du droit à la copie privée dans l’univers numérique ? Certes, le Projet de loi DADVSI, qui reprend les termes de la Directive communautaire, réaffirme le droit à la copie privée auquel les mesures techniques de protection ne doivent pas porter atteinte (1). Cependant, ce droit à la copie privée est soumis à trois conditions cumulatives, dont deux ont un caractère totalement subjectif, directement inspiré de l’article 9.2 de la convention de Berne, à savoir : les personnes bénéficiaires de l’exception de copie privée doivent avoir un accès licite à l’œuvre, l’exception de copie privée ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, l’exception de copie privée ne doit pas causer de préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droits sur cette œuvre. Que faut-il entendre par exploitation normale de l’œuvre ? Cette question est laissée à la libre interprétation des juges, ce qui peut entraîner des contradictions. L’affaire « Mulholland Drive » est une belle illustration de ces contradictions dans l’interprétation prétorienne de « l’exploitation normale de l’œuvre ».Tandis que la Cour d’appel de Paris avait considéré, dans son arrêt du 22 avril 2005, qu’une copie privée de DVD ne pouvait nuire à l’exploitation normale de l’œuvre, la 1ère Chambre Civile de la Cour de cassation, dans sa décision du 28 février 2006, a affirmé au contraire que, compte tenu de l’importance économique que l’exploitation de l’œuvre sous forme de DVD représente pour l’amortissement des coûts de production cinématographique, la copie privée représente une atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre. Ainsi, la cour de cassation, qui reprend la thèse soutenue par les juges de première instance(2), considère que doit être prise en compte l’incidence économique que la copie privée peut avoir dans le contexte de l’environnement numérique. Elle ne contredit pas les termes de l’article L.122-5 du code de propriété intellectuelle selon lesquels « l’auteur ne peut interdire les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ». En effet, le particulier qui a acheté le DVD et qui doit donc être envisagé comme le copiste au sens de l’article L.122-5 du Code de propriété intellectuelle, n’a nullement besoin de faire plusieurs exemplaires de son DVD pour son usage privé. Néanmoins, une telle position des juges remet en question la légitimité de la taxe sur les supports vierges d’enregistrement. En effet, ainsi que l’a souligné le directeur des études et de la communication de l’UFC- Que Choisir (3), « le DVD vierge est le support sur lequel la redevance est la plus forte en France » ; or, si c’est « l’endroit où l’éventail des droits est le plus faible », on arrive à un paradoxe certain qui conduirait à revoir à la baisse la rémunération pour copie privée appliquée sur les supports vierges d’enregistrement. Loin du système anglo-saxon des « precedents », notre système ne permet pas de considérer que la décision de la cour de cassation a posé un principe immuable quant à l’interprétation de la notion « d’exploitation normale de l’œuvre ». Afin de pallier les problèmes d’interprétation, le Projet de loi DADVSI envisage, dans son article 9, d’introduire un article L.331-7 dans le Code de propriété intellectuelle selon lequel tout différend portant sur le bénéfice de l’exception de copie privée qui implique une mesure technique de protection sera soumis à un collège de médiateurs. Le Collège de médiateurs a pour but de déterminer comment appliquer les DRM suivant chaque cas exposé afin de sauvegarder dans une certaine mesure le droit à la copie privée en essayant de parvenir à une conciliation et à défaut, de prescrire une injonction ou un rejet de la demande formulée par la personne s’estimant bénéficiaire d’un droit à la copie privée. Cependant, un Collège de médiateurs, composé de magistrats ou fonctionnaires indépendants (4), jouit-il d’une légitimité et d’une appréhension de l’environnement numérique suffisantes pour se prononcer sur la question de la licéité des DRM ? Laurence Tellier-Loniewski Lexing Droit Propriété intellectuelle (1) Art. 8 du Projet de loi DADVSI du 12 novembre 2003. (2) TGI Paris, 30 avril 2004 (disponible sur juriscom.net, legalis.net, foruminternet.org), GTA Juillet 2004, Doctrine : « Exploitation normale d’une œuvre numérique : vers le Fair Use américain ? » Benoit de Roquefeuil, Ariane Delvoie. (3) « Copie Privée sur les DVD : l’UFC- Que choisir prêt à repartir à la bagarre en appel », Estelle Dumout, ZDNet.fr, 1er mars 2006 (http://www.zdnet.fr/ (4) Art. 9 du projet de loi DADVSI du 12 novembre 2003.