Compétence du juge français en matière de dommages en ligne

La compétence internationale des juridictions françaises en matière délictuelle est déterminée par les articles 2 et 5-3° du règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000 ainsi que par les articles 2 et 5-3° de la convention de Bruxelles de 1968 pour les affaires en relation avec le Danemark et les articles 2 et 5-3° de la convention de Lugano de 1988 pour les pays de l’AELE. Le demandeur dispose d’une option, il peut soit saisir le tribunal du domicile du défendeur, soit le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. Lorsque le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un Etat membre de l’Union européenne, l’article 4 du règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000 renvoie aux règles de conflits de juridiction du droit interne.

En droit français, la règle de compétence se trouve à l’article 46, alinéa 3, du Code de procédure civile, transposée dans l’ordre international. Le demandeur dispose de la même option de compétence que celle offerte par le règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000 : il peut saisir soit le tribunal du domicile du défendeur, soit le tribunal du lieu du fait dommageable. En matière de dommage subi par voie d’internet, deux théories s’opposent sur la question de la compétence internationale des juridictions françaises : la théorie de l’accessibilité du site et celle de l’orientation.

Depuis 2005 et l’arrêt Hugo Boss (1), la Cour de cassation a abandonné la théorie de l’accessibilité du site, selon laquelle le fait dommageable est localisé en France dès lors que le site litigieux est accessible en France, au profit de celle de l’orientation et considère désormais que le préjudice n’est localisé en France que si le site litigieux est orienté vers le public français. La Cour d’appel de Paris, dans les arrêts Normalu de 2006 et Axa de 2007, a posé comme critère à la compétence territoriale «la caractérisation d’un lien suffisant, substantiel ou significatif entre ces faits ou actes et le dommage allégué». Ce critère a depuis lors été confirmé notamment par les arrêts Lancôme du 10 juillet 2007 (2), Il Figlio du 9 septembre 2008 (3) et République du Chili du 9 septembre 2009 (4). Plusieurs indices peuvent ainsi être retenus pour caractériser l’orientation d’un site vers le public français : la langue utilisée, le paiement en euro, l’affichage double du prix HT, TTC et du taux de TVA français, la possibilité de se faire livrer le produit commandé en France, etc.

Par ordonnance du 7 janvier 2011 (5), la 3ème Chambre du TGI de Paris confirme la position des juridictions françaises en faveur de la théorie de l’orientation. Cette affaire concernait la reproduction sur des tee-shirts de la célèbre photographie de Ernesto «Che» Guevara intitulée «Guérillero Héroico» de Korda, et leur vente sur le site internet http://store.theonion.com

Décédé le 25 mai 2001, Korda a pour légataire universelle sa fille Mme D. L.. Le 26 mai 2008, celle-ci avait cédé à titre exclusif et pour le monde entier pour une durée de 10 ans l’ensemble des droits d’exploitation de la photographie à la société de droit chypriote Legende Global. Mme D. L. et la société Legende Global ont assigné devant la juridiction française les sociétés Online Inc et The Onion, qui effectue la livraison des produits commandés en ligne, pour contrefaçon de leurs droits. Le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande en se déclarant incompétent pour défaut de rattachement suffisant entre les faits allégués et le territoire français, aux motifs que?:

– « S’agissant d’actes allégués de contrefaçon sur un site internet (…) la compétence des juridictions françaises n’est (…) acquise que s’il existe un lien de rattachement suffisant, substantiel ou significatif entre l’acte dommageable et le marché national » ;
– « Ce lien doit être recherché en examinant la nature du site internet en cause » ;
– Les sociétés défenderesses ont leur siège social aux Etats-Unis ;
– Le site internet, situé aux Etats-Unis, est « exclusivement rédigé en langue anglaise, il offre à l’internaute des informations relatives à l’actualité américaine, et propose à la vente d’une part des produits concernant la culture américaine, d’autre part des vêtements de tailles similaires à celles utilisées dans les boutiques américaines, dont les prix sont définis exclusivement en dollars américains » ;
– D’autre part, les demanderesses n’apportent pas la preuve d’un achat sur le site en question par un internaute français autre qu’elles même.

Il ressort de ce qui précède qu’en matière de conflits de juridictions relatifs à un dommage subi par voie d’internet, les juridictions françaises recherchent l’ensemble des critères permettant de déterminer que le site en question était bien orienté vers les internautes français pour fonder leur compétence.

(1) Cass. com. 11 1 2005 n° 02-18381 Hugo Boss c/ Reemstma Cigarettenfabriken
(2) Cass. com. 10 7 2007 n°05-18571Buttress BV et autre c/ L’Oréal Produits de Luxe France
(3) Cass. crim. 9 9 2008 n°07-87281 Giuliano F. c/ Ministère public
(4) CA Paris 09 09 2009 1e ch. République du Chili c/ Consorts G
(5) TGI Paris 07 01 2011 3e ch. Legende Global, Diana D. c/ Onion

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