Le concours semble devenir le principal outil juridique pour la mise en œuvre et le développement du crowdsourcing. Ce constat peut être effectué en observant la manière dont les acteurs font appel à la foule pour contribuer à la réalisation de leurs projets ou de leurs produits. Il s’explique par le régime juridique très souple de cet instrument juridique et par le déploiement de plateformes permettant sa mise en œuvre en ligne.
Quelques exemples de concours récents en matière de crowdsourcing
Du 13 au 17 mars 2017, s’est tenue la finale de la 6ème édition du concours « Les Coéquipiers » organisé par la société Décathlon, auprès d’étudiants, alternants et stagiaires, afin d’imaginer comme son slogan l’indique le « produit de demain », qu’ils pourront par la suite proposer à la vente. Une équipe de l’IAE de Toulouse, une école de management, a remporté le premier prix, soit un voyage par membre d’une valeur de 1000 euros et un chèque de 8000 euros pour l’association sportive qu’elle soutenait, grâce à sa semelle extérieure amovible qui protège les crampons des chaussures de sport (1).
La société Orange lance également depuis 2010 ce type de concours, sous le concept « Imagine with orange ». Après les thèmes « la famille connectée », « les objets connectés », Orange a lancé en 2015 celui de la « Smart City » ou la « Ville intelligente », au cours duquel les internautes, de profil entrepreneur, sont invités à partager leurs idées innovantes qu’Orange aidera à concrétiser grâce au gain proposé de « coaching innovation » au sein de leur siège parisien (2). Cette activité s’internationalise aujourd’hui, puisque Orange Tunisie a lancé jusqu’au 12 avril 2017 sont premier concours de crowdsourcing sur la thématique « Inventons le transport du futur », afin que les internautes tunisiens révolutionnent le transport en Tunisie (3).
Aux Etats-Unis, la NASA, l’agence spatiale américaine, sollicite également la contribution des étudiants de niveau universitaire de tout le pays afin d’innover. Du 22 au 26 mai 2017, se tiendra pour la huitième fois, la phase sélective du concours « Robotic Mining Competition ». Les cinquante premières équipes, enregistrées un an auparavant selon un calendrier très précis, sont admises à participer. Ce concours annuel a pour objectif de voir émerger des robots miniers de plus en plus solides et performants, capables de creuser la roche martienne, et ainsi participer à l’exploration de la deuxième planète par masse et par taille. Outre une renommée certaine, les équipes participantes pourront remporter des bourses allant jusqu’à 5000 dollars (4).
Ces concours ne sont pas des actes isolés. D’ailleurs des sociétés se développent afin de les organiser pour le compte de tiers. On pourrait citer par exemple l’une des pionnières en France, la Société Eyeka (5).
Un choix expliqué par la souplesse juridique du concours
En France, les loteries sont prohibées, conformément aux articles L.322-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure, qui les définit comme « les ventes d’immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort, ou auxquelles ont été réunies des primes ou autres bénéfices dus, même partiellement, au hasard et, d’une manière générale, toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l’opérateur de la part des participants ».
Depuis la loi Hamon du 17 mars 2014, cette interdiction ne recouvre pas les opérations publicitaires tendant à l’attribution d’un gain ou d’un avantage de toute nature par la voie d’un tirage au sort ou par l’intervention d’un élément aléatoire, à condition de ne pas être déloyales (articles L.322-2-2 du Code de la sécurité intérieure et L.121-20 du Code de la consommation).
Les concours quant à eux sont définis par le Larousse comme une « compétition organisée en vue d’octroyer un prix aux meilleurs concurrents, ou aux œuvres, travaux, projets, animaux, etc., les plus remarquables, qui s’y présentent ou qui y sont présentés… » (6).
Au regard de cette définition, le concours contrairement aux loteries, n’est pas soumis au hasard ou à un quelconque aléa. Il repose sur les aptitudes personnelles du participant. C’est la comparaison des résultats qui détermine l’attribution du gain. En ce sens, le concours est légal et n’est soumis à aucune législation spécifique.
Ceci ne signifie pas pour autant que les concours ne doivent être soumis à aucun formalisme.
Pour ne pas relever du hasard, le concours doit être organisé par des règles de participation précises. C’est pourquoi en pratique pour éviter toute requalification juridique, un règlement doit être rédigé précisant notamment toutes les modalités de la participation, de la sélection et de l’attribution des dotations. Parfois, ces règles figurent intégrées dans des conditions générales d’utilisation. Ceci, est notamment le cas lorsque des plateformes en ligne sont spécifiquement constituées pour leur mise en œuvre.
Les acteurs, tous comme les participants, doivent donc restés très attentifs aux obligations que ces documents renferment, notamment les clauses de propriété intellectuelle qui organisent le régime des idées communiquées et des résultats générés.
Bien que ces activités soient aujourd’hui libres, elles pourraient finir par intéresser le législateur et la DGCCRF. En effet, selon l’article L.121-1 du code de la consommation, les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Or, par le biais des concours et du crowdsourcing, de nombreuses entreprises économisent des frais importants en matière d’innovation. En ce sens, cette pratique a une finalité commerciale non contestable pour les entreprises qui les réalisent. Ainsi, il ne semblerait pas irréaliste d’imposer un formalisme particulier ou, au moins, préconiser des bonnes pratiques, notamment la rédaction obligatoire d’un règlement autonome devant faire l’objet d’un dépôt préalable auprès d’un huissier de justice qui en contrôlerait la loyauté.
Une organisation favorisée par le déploiement de plateformes en ligne
Le développement des concours en matière de crowdsourcing est permis par la création de plateformes en ligne pour leur mise en œuvre.
Pour le Conseil national du numérique « une plateforme est un service occupant une fonction d’intermédiaire dans l’accès aux informations, contenus, services ou biens édités ou fournis par des tiers. Au-delà de sa seule interface technique, elle organise et hiérarchise les contenus en vue de leur présentation et leur mise en relation aux utilisateurs finaux. A cette caractéristique commune s’ajoute parfois une dimension écosystémique caractérisée par des interrelations entre services convergents » (7).
Le crowdsourcing n’est pas une activité figée. Elle est le partage d’idée par foule. Le crowdsourcing se fonde donc sur une interactivité. En ce sens, les plateformes en ligne sont un atout majeur à deux niveaux.
Tout d’abord, la plateforme en ligne permet de connecter l’organisateur du concours aux participants. Quel que soit leur situation géographique et la nature du contenu qu’ils vont soumettre, la plateforme en ligne permet la mise en relation et le partage des idées et innovations.
Ensuite, la plateforme en ligne permet de connecter les participants aux autres internautes, lesquels pourront contribuer en donnant leurs avis et parfois en votant pour les projets qu’ils préfèrent.
Longtemps non définies et non réglementées, les plateformes en ligne sont désormais consacrées par le Législateur au travers de la loi pour une République Numérique.
Selon l’article L.111-7 du Code de la consommation modifié par la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 « Est qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :
- Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;
- Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».
Les acteurs du crowdsourcing devront donc veiller à respecter leurs nouvelles obligations, notamment en matière d’information loyale, claire et transparente relative aux enjeux juridiques et économiques de leurs plateformes en ligne.
De fait, le crowdsourcing ne pourra se développer et devenir un nouveau modèle économique pérenne sans un encadrement juridique des pratiques.
Marie Soulez
Lylia Lanasri
Lexing Contentieux Propriété Intellectuelle
(1) Plateforme de crowdsourcing du concours « Les Coéquipiers » organisé par la société Décathlon.
(2) Plateforme de crowdsourcing française du concours « Imagine with Orange » organisé par la société Orange.
(3) Plateforme de crowdsourcing tunisienne du concours « Imagine with Orange », organisé par la société Orange Tunisie.
(4) Concours « Robotic Mining Competition » sur le site internet de la NASA.
(5) Site internet de la société Eyeka.
(6) Définition du terme « Concours » par le dictionnaire Larousse.
(7) CNNum, Rapport Ambition Numérique, 2015, p. 59.