Notification hébergeur : preuve par tous moyens de la connaissance effective du caractère illicite des contenus.
La question des conséquences du non-respect des conditions posées par l’article 6-I 5° de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, en matière de notification de contenus illicites, sur l’engagement de la responsabilité des hébergeurs, est à nouveau posée dans le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 10 juillet 2009. Dans cette affaire, la société Bayard Presse avait constaté la diffusion, sans son autorisation, d’extraits de dessins animés pour enfant, sur lesquels elle détient des droits, sur la plate-forme de partage de vidéos YouTube, qu’elle a informée de la situation par l’envoi de deux lettres de mise en demeure.
Ces mises en demeure étant restées sans effet, la société Bayard Presse a assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris YoutTube pour contrefaçon de droits d’auteur et contrefaçon de marques. YouTube soutenait n’avoir pas reçu de mise en demeure respectant le formalisme de l’article 6-I 5° de la loi pour la confiance de l’économie numérique ; les lettres de mise en demeure de la société Bayard Presse ne précisaient en effet pas la liste des vidéos arguées de contrefaçon, ni leur localisation précise. Or, l’article 6-I 5° de la loi pour la confiance de l’économie numérique dispose que la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par l’hébergeur, lorsque lui sont notifiés les différents éléments suivants :
- la date de la notification ;
- les éléments permettant l’identification du notifiant ;
- les éléments permettant l’identification du destinataire de la notification ;
- la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
- les motifs pour lesquels les contenus doivent être retirés, comprenant la mention des dispositions légales et les justifications de fait ;
- la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.
La loi pour la confiance dans l’économie numérique n’impose toutefois pas comme condition de l’engagement de la responsabilité des hébergeurs, le respect de ce formalisme. C’est ce qu’a a rappelé le Tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement du 10 juillet 2009, dans les termes suivants : « La connaissance effective du caractère illicite des données ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère, exigée par l’article 6-I 2° [de la loi pour la confiance dans l’économie numérique] pour la mise en jeu de la responsabilité civile des personnes physiques ou morales assurant une prestation technique de stockage, est certes présumée si une notification conforme à l’article 6-I 5° [de la loi] leur a été adressée, mais peut également être prouvée par tous autres moyens ». Le tribunal a, en conséquence, condamné YouTube aux motifs qu’elle n’avait pas retiré promptement l’accès aux contenus en cause, un délai de cinq mois s’étant écoulé entre la première lettre de mise en demeure qui permettait « l’identification des vidéogrammes litigieux (…) par la seule saisie, sur le moteur de recherche du site, des termes Petit Ours Brun », et le retrait des contenus litigieux.
Cette décision adopte une position contraire à celle retenue, notamment dans les affaires Comité de défense de la cause arménienne de 2006, Google de 2006, Wikipédia de 2007, JFG Networks de 2008 et 20 Minutes France de 2008. Dans ces affaires, les juges ont exigé que la notification à l’hébergeur soit faite dans les formes prévues à l’article 6-I 5° de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, aux motifs que la responsabilité des hébergeurs ne doit pas pouvoir être engagée sur la base d’une connaissance simplement potentielle de la présence d’informations illicites. La question des moyens de preuve de la connaissance effective par l’hébergeur du caractère manifestement illicite des contenus qu’il stocke, qui est une condition pour que sa responsabilité puisse être engagée, est à nouveau posée dans le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 10 juillet 2009.
TGI Paris 3e ch. 2e sect. Bayard Presse c. You Tube LLC, 10 juillet 2009
(Mise en ligne Août 2009)