L’Association Henri Capitant a publié un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux le 26 juin 2017.
Cet avant-projet s’inscrit dans le mouvement de modernisation du droit des contrats.
Mouvement de modernisation
Avec la réforme du droit des contrats, du régime général de la preuve et des obligations (1), le chantier de modernisation des dispositions du Code civil n’est pas achevé.
Le Code civil devrait, à terme, être réformé sur trois autres volets :
- la responsabilité civile, pour laquelle la Chancellerie a initié une consultation publique (2) ;
- les sûretés, pour laquelle la Chancellerie a sollicité les travaux de l’Association Henri Capitant (3) ; et
- les contrats spéciaux.
Contrairement au droit de la responsabilité civile ou au droit des sûretés, aucune initiative n’a officiellement été lancée pour réformer le droit des contrats spéciaux. L’Association Henri Capitant s’est donc emparée de la question en proposant, le 26 juin 2017, un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux.
Esprit de l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux
La réforme des contrats spéciaux est présentée par l’Association comme nécessaire (4), compte tenu :
- du défaut d’intelligibilité des textes actuels, ceux-ci n’ayant que peu, voire pas, été retouchés depuis 1804 ;
- de leur manque d’accessibilité et de leur incomplétude, puisqu’il ne reflète pas l’état de la jurisprudence ;
- des objectifs d’attractivité du droit français et de sécurisation des échanges économiques, qui motivaient déjà la réforme du droit des contrats, du régime général de la preuve et des obligations.
Cet avant-projet de réforme des contrats spéciaux comporte ainsi des dispositions :
- relatives aux « droits ou obligations spéciaux », applicables à plusieurs catégories de contrats spéciaux. (ex : obligation de délivrance, concernant la vente, le bail ou les prestations de services) ;
- communes à des grandes catégories de contrats spéciaux (ex : contrat de prestation de services) ; et
- spécifiques applicables à des contrats « très spéciaux » (ex : contrat de prestation de services de fabrication de meuble).
Cet avant-projet de réforme – très concis – semble à cet égard constituer un premier document de travail. L’Association invite d’ailleurs toute personne à communiquer ses observations et à participer à la prochaine journée nationale de l’Association consacrée à l’étude de l’avant-projet (Grenoble, le vendredi 17 novembre 2017).
Reste à déterminer si cet avant-projet est susceptible d’avoir une incidence en matière de contrats informatiques.
Contrats spéciaux et secteur informatique
Dans le secteur de l’informatique, les principaux contrats BtoB se résument aux suivants : prestation de services (art. 1779 et s. du Code civil), vente (art. 1582 et s.), location (art. 1709 et 1713) de matériels informatiques et mandat (art. 1984 et s.).
A l’exception de la vente, les dispositions du Code civil applicables à ces contrats spéciaux sont actuellement limitées. Par exemple, il n’existe pas de dispositions spécifiques en matière de location mobilière (5).
A ces contrats s’ajoutent également d’autres contrats très spéciaux (ex : contrat de distribution, de cession ou de licence de droits d’auteur). Ils sont exclus de cet avant-projet de réforme.
L’avant-projet de réforme apporte des précisions et compléments aux dispositions issues de la réforme du droit des obligations. Tel est notamment le cas concernant le transfert de propriété (6).
Certaines dérogations au régime général du droit des contrats sont également proposées. A titre d’exemple, en matière de location, l’avant-projet prévoit une dérogation à l’article 1216-1 du Code civil. Le locataire cédant son contrat serait ainsi libéré pour l’avenir envers son bailleur. Il ne serait donc pas tenu avec le nouveau locataire de manière solidaire.
Des innovations sont par ailleurs à noter en matière de contrats de prestation de services, ce qui intéresse particulièrement le secteur informatique.
Quelles nouveautés pour les contrats spéciaux de prestation de services ?
L’avant-projet de réforme définit le contrat de prestation de services comme celui par lequel le prestataire doit accomplir un travail de manière indépendante au profit du client (Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, art. 69).
Il rappelle également les règles déjà existantes. Ainsi, le contrat est formé dès que les parties sont convenues du travail à accomplir (Avant-projet précité, art. 70). Le prix n’est pas une condition de validité. Il pourra être fixé ultérieurement de manière unilatérale par le prestataire à charge pour lui d’en justifier le montant (C. civ. art. 1165).
L’avant-projet comporte également des innovations, en introduisant notamment :
- concernant le régime de responsabilité :
- des règles spécifiques en matière de contrats conclus à titre gratuit. La responsabilité du prestataire ne pourrait être engagée qu’en cas de faute intentionnelle, dolosive ou lourde (Avant-projet, art. 73) ;
- un principe de solidarité en cas de cotraitance (Avant-projet, art. 75) ;
- concernant le bien résultat des prestations :
- un transfert de propriété du bien au moment de sa réception (Avant-projet, art. 83) ;
- un droit de rétention du bien en l’absence de paiement par le client (Avant-projet, art. 72) ;
- une révision judiciaire du prix lorsqu’il est manifestement dérisoire ou excessif et a été fixé d’un commun accord entre les parties (sauf forfait) (Avant-projet, art. 72).
L’avant-projet pose en outre certaines questions. A titre d’exemple, il est prévu que le prestataire puisse recourir à la sous-traitance. L’obligation d’obtenir un agrément préalable du sous-traitant par le client n’est cependant pas rappelée (7).
Enfin, il convient de s’interroger sur l’opportunité d’étendre le champ d’application de certaines dispositions de l’avant-projet relatives aux contrats de construction d’un immeuble. Les mécanismes opérationnels et contractuels en vigueur dans les secteurs de l’informatique et de la construction sont en effet similaires sur bien des plans. Tel est notamment le cas des dispositions relatives à la réception des livrables ou encore la réception judiciaire en cas de désaccord des parties.
Recommandations en matière de contrat de prestation de services informatiques.
Les propositions de réforme issues de cet avant-projet rappellent la nécessité d’encadrer de manière claire les droits et obligations du client et du prestataire informatique. Ceci contribue à la sécurité juridique des opérations.
A titre d’exemple, les parties pourront utilement définir :
- le prix des prestations et ses modalités de détermination et d’évolution. Un prix ferme et forfaitaire et une dérogation expresse de la révision pour imprévision (C. civ. 1195) limite le risque d’immixtion « économique » du juge ;
- les modalités de transfert de la propriété matérielle et immatérielle des livrables documentaires et informatiques réalisés par le prestataire : au fur et à mesure de leur création, de leur livraison, de leur recette ou de leur paiement ;
- les modalités de la sous-traitance et le droit de regard ou d’opposition dont dispose le client à cet égard.
Sans aucun doute, un suivi attentif des travaux de l’Association est nécessaire, afin d’en anticiper les impacts sur la rédaction et la négociation des contrats informatiques.
Jean-François Forgeron
Sophie Duperray
Lexing Droit de l’Informatique
(1) Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
(2) Le droit de la responsabilité civile n’était pas compris dans la loi d’habilitation du gouvernement à réformer par ordonnance. Toute réforme impliquera donc le dépôt d’un projet de loi ou d’une proposition de loi, soumis à débat parlementaire. La Chancellerie, après avoir réalisé une consultation publique, a néanmoins déjà travaillé sur un projet de réforme de la responsabilité civile, publié le 13 mars 2017.
(3) L’Association Henri Capitant a été sollicité directement par la Chancellerie afin d’élaborer un nouvel avant-projet de réforme du droit des sûretés. Celui-ci a pour objectif de compléter la réforme intervenue en 2006 (principalement sur le cautionnement et les privilèges), d’ajuster les dispositions résultant de la réforme de 2006 (afin de lever des ambiguïtés d’interprétation) et d’assurer la cohérence du droit des sûretés avec les réformes ultérieures à 2006. Un avant-projet de réforme du droit des sûretés, très détaillé, a été publié le 14 septembre 2017.
(4) L’Association Henri Capitant a remis à la Chancellerie, le 26 juin 2017, un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux qui s’inscrit dans l’entreprise de rénovation du droit privé français que celle-ci conduit de longue date.
(5) Ce qui a amené la jurisprudence à leur appliquer le régime des baux immobiliers pour autant qu’il soit compatible avec la nature des choses (Cass. civ. 1, 22-7-1968, Bull. Civ. 208).
(6) S’il est prévu au titre du régime général, que le transfert de propriété s’opère, par principe, lors de la conclusion du contrat (C. civ. art. 1196 nouveau) l’avant-projet de réforme prévoit que ce transfert interviendra « lorsque la chose vient à exister » en matière de vente de choses futures (Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, art. 24), et « lors de la réception » du bien mobilier en matière de contrat de prestation de services portant sur la réalisation d’un bien corporel ou incorporel (Avant-projet précité, art. 83).
(7) A cet égard, on peut s’interroger sur l’articulation de ces dispositions avec la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. Cette loi prévoit une obligation d’agrément de la personne et des conditions de paiement du sous-traitant par le maître de l’ouvrage.