Il a été jugé que l’absence de description précise d’une œuvre emporte la nullité de l’assignation en contrefaçon.
Une ordonnance rendue le 3 juillet 2015 par le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Paris annule, au visa de l’article 56 du Code de procédure civile (1), l’assignation en contrefaçon en raison de l’absence de description du logiciel ou de la base de données objet du litige.
La demanderesse avait remporté un appel d’offres lancé par une autre société pour la mise en œuvre d’un système de localisation en temps réel de lignes de bus et de la billetterie. Ces deux sociétés ont signé un contrat de partenariat.
Plusieurs années après, la demanderesse a reçu la visite de deux hommes d’une société tierce se disant mandatés par la société avec laquelle elle avait signé ledit contrat de partenariat afin de réaliser un audit technique. Pour ce faire, ils ont eu accès aux codes sources du logiciel ainsi qu’au cahier des charges de la nouvelle solution. Peu de temps après cette visite, elle recevait une lettre l’informant de son éviction du marché.
Un an plus tard, elle a fait constater par huissier que certains des autocars de la société avec laquelle elle avait signé un contrat de partenariat utilisaient une interface similaire à celle de son propre logiciel. Elle a donc fait procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux de cette dernière société et dans les locaux de la société tierce et a assigné ces deux sociétés en contrefaçon et en concurrence déloyale.
Les défenderesses ont soulevé un incident et demandé au juge de la mise en état de prononcer la nullité de l’assignation en se fondant sur l’article 56 du Code de procédure civile qui impose au demandeur de décrire, à peine de nullité, dans son assignation l’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit et sur l’article 15 du Code de procédure civile qui dispose que « les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense ».
Elles ont par ailleurs soulevé la nullité de l’assignation en raison de l’incertitude relative à l’identité des œuvres concernées par l’action en contrefaçon, l’absence de caractérisation de leur originalité et plus généralement sur l’absence de précision sur les faits argués de contrefaçon considérant que les conclusions récapitulatives prises par la défenderesse à l’incident ne permettent en rien de régulariser l’assignation.
Dans son ordonnance du 3 juillet 2015, le juge de la mise en état se reconnaît compétent pour statuer sur la nullité de l’assignation.
Le Juge reproche à la société demanderesse de ne pas avoir clairement expliqué dans son assignation s’il s’agissait d’actes de contrefaçon de logiciel ou d’extractions non autorisées de sa base de données, de sorte que les sociétés défenderesses n’étaient pas en mesure de préparer efficacement leur défense.
Il lui reproche de ne pas avoir décrit dans son assignation l’œuvre sur lesquels les actes de contrefaçon auraient été commis, de ne pas avoir expliqué ses conditions de création et de la titularité des droits, et de ne pas avoir communiqué ses codes sources.
Le juge de la mise en état relève que le ou les logiciel(s) ayant fait l’objet d’actes de contrefaçon ne sont pas clairement identifiés de sorte qu’il n’est pas permis de savoir quel est le logiciel exactement concerné par l’éventuelle atteinte, ni dans quelle version de développement. Ainsi, la société demanderesse évoque tour à tour dans son assignation des actes de contrefaçon sur les « logiciels de billetterie », « l’ensemble de la technologie développée » par elle, de ses « logiciels », ou encore de développements d’applications « logicielles » ou à un « nouveau logiciel de billetterie globale ».
La communication, en pièce jointe de son assignation, d’une copie des dépôts auprès de l’Agence pour la Protection des Programmes des logiciels et matériels embarqués ne semblent pas à même de permettre aux défenderesses de connaitre clairement ce qui leurs est reproché et de déterminer les droits dont la société demanderesse s’estime titulaire.
De même, s’agissant de la base de données, il déplore de ne pas savoir par qui et quand elle a été constituée, ni quels sont les investissements tant humains que financiers réalisés pour parvenir à sa constitution ni même les données qu’elle comprend.
Considérant que l’objet de la demande dans l’assignation n’était pas suffisamment exposé en fait en droit, le Tribunal a prononcé la nullité de l’assignation. Cette décision est particulièrement sévère quant à la recevabilité de l’action des demandeurs en contrefaçon. Une prudence particulière s’impose donc aux demandeurs d’une action en contrefaçon.
Marie Soulez
Clémence Delebarre
Lexing Contentieux Propriété intellectuelle
(1) CPC, art. 56.