Le chausseur Christian Louboutin a remporté une nouvelle bataille judiciaire dans la défense de sa marque figurative.
Les précédents relatifs à la validité de la marque figurative Louboutin
Le chausseur Christian Louboutin et sa société mènent depuis plusieurs années une campagne de défense mondiale des célèbres semelles rouges via la marque figurative représentant ladite semelle.
Des procès, introduits en Europe et aux Etats-Unis, avaient jusqu’à présent aboutis à des résultats différents.
En France, Christian Louboutin a agi en 2012 à l’encontre d’enseignes telles que Zara ou Eden Shoes qui commercialisaient des chaussures à talons ornées d’une semelle rouge.
Dans le cadre de l’affaire Eden Shoes (1), Christian Louboutin avait obtenu une condamnation sur le fondement de l’atteinte à la marque de renommée.
Dans le cadre de l’affaire Zara (2), la célèbre enseigne espagnole avait contre-attaqué en demandant la nullité de la marque figurative opposée par Christian Louboutin. La Cour de cassation avait confirmé l’annulation de la marque semi-figurative n°00/3067674 sur le fondement du défaut de distinctivité aux motifs que ni la forme, ni la couleur de la semelle ne faisait l’objet d’une représentation graphique. La marque figurative était alors représentée comme suit, associée à la description suivante : Semelle de chaussure de couleur rouge.
Les Etats-Unis avaient fait preuve d’une plus grande souplesse.
Dans une affaire opposant Christian Louboutin à la société Yves Saint-Laurent, la Cour d’appel Fédérale (3) avait considéré que la semelle rouge était susceptible de protection à titre de marque, à condition que celle-ci contraste avec la couleur de la chaussure.
L’action en nullité de la marque figurative Louboutin
Plus récemment, une nouvelle affaire a été portée devant les tribunaux français par la société Kesslord qui proposait à ses clients de personnaliser leurs chaussures, notamment en y ajoutant des semelles de couleur rouge.
La société Louboutin et Christian Louboutin l’ont donc mise en demeure de cesser toute personnalisation reproduisant la marque figurative n°3869370, représentée de la manière suivante :
La marque consiste en la couleur rouge (code Pantone n°18.1663TP) appliquée sur la semelle d’une chaussure telle que représentée (le contour de la chaussure ne fait donc pas partie de la marque mais a pour but de mettre en évidence l’emplacement de la marque).
La société Kesslord a pris l’initiative d’une action judiciaire aux fins d’obtenir la nullité de la marque figurative opposée au motif de son absence de validité (selon elle, la marque ne remplirait pas la condition de représentation graphique posée par l’article L.711-1 du Code de la propriété intellectuelle) et de son absence de distinctivité.
Par jugement du 16 mars 2017 (4), le Tribunal de grande instance de Paris a débouté la société Kesslord de sa demande considérant que la représentation graphique de la marque «révèle sans équivoque que la couleur rouge précisément définie recouvre la totalité de la partie extérieure de la semelle d’une chaussure à talon» et que sa «localisation, constante, est objectivement, précisément et clairement identifiée».
La société Kesslord a interjeté appel de cette décision.
Marque figurative et exigence de représentation graphique
En appel, la société Kesslord sollicite en premier lieu l’annulation de la marque figurative faute de représentation claire, objective, complète et constante comme exigé par l’article L.711-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Elle fait valoir que le signe évoque une certaine forme de semelle, tandis que la marque désigne de façon large tous les types de «chaussures à talons hauts» dont il existe de multiples sortes. Il ne serait selon elle pas possible, selon elle, de déterminer avec précision l’objet et l’étendue de la protection conférée, la forme de la semelle rouge dépendant directement de la forme de la chaussure sur laquelle elle est apposée. Enfin, elle ajoute que la représentation graphique de la marque ne peut être simplement un exemple ou une déclinaison du signe.
En défense, la société Louboutin et son créateur éponyme font valoir que la marque figurative, constituée d’une couleur spécifique située à un emplacement précis, est une marque de position clairement identifiée, peu important que la forme du produit soit susceptible de variation. Ils font également valoir également la renommée des semelles rouges Louboutin.
Dans son arrêt du 15 mai 2018 (5) la Cour d’appel souligne tout d’abord, au regard de l’article L.711-1 du Code de la propriété intellectuelle, que la marque peut être constituée par une disposition de couleurs. Puis elle indique que le signe est clairement et précisément défini par la combinaison d’une couleur spécifique et son emplacement sur la semelle extérieure, délimité grâce à des pointillés.
Elle ajoute que la problématique résultant de la variation des produits désignés, relève de l’appréciation d’une éventuelle contrefaçon et non du débat relatif à la validité de la marque.
Enfin, elle précise que la marque figurative Louboutin est fantaisiste et arbitraire dans le secteur d’activité concerné, et dotée d’un caractère distinctif au regard des articles de presse fournis par la société Louboutin.
Marque figurative et signe conférant sa valeur substantielle au produit
En second lieu, la société Kesslord sollicite la nullité de la marque figurative Louboutin sur le fondement de l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle. Elle soutient que le signe est dépourvu de caractère distinctif dans la mesure où la couleur rouge n’est que l’une des caractéristiques de la forme de la semelle et donne au produit sa valeur substantielle.
En défense, la société Louboutin et le créateur objectent qu’il n’est pas démontré que la marque figurative est exclusivement constituée de la forme des produits pour lesquelles elle est déposée, c’est-à-dire les chaussures à talons, ni que la semelle rouge donnerait à ces chaussures leur valeur substantielle.
La Cour d’appel observe que la combinaison de la couleur rouge apposée sur la semelle extérieure d’une chaussure à talon ne résulte pas de la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, et qu’il s’agit d’un choix arbitraire du créateur.
Elle ajoute que si la semelle rouge Louboutin est emblématique, rien ne permet de considérer qu’elle confère aux chaussures à talons Louboutin leur valeur substantielle qui peut résulter de la qualité intrinsèque des chaussures ou de leur succès auprès de la clientèle célèbre.
Dans ces conditions, la Cour d’appel déboute la société Kesslord de sa demande en nullité de la marque figurative n°3869370. Une nouvelle bataille judiciaire est donc gagnée dans la défense des semelles rouges Louboutin.
Toutefois, d’autres procès ont été introduits par le créateur et sa société, dont l’issue pourrait confirmer ou remettre en cause la validité de la marque figurative Louboutin. La route est donc encore longue pour ces fameuses semelles rouges.
Eve Renaud-Chouraqui
Justine Ribaucourt
Lexing Droit Propriété industrielle
(1) L’affaire Eden Shoes : TGI Paris 07-01-2011, n° 09/09066.
(2) L’affaire Zara : Cass. com. 30-05-2012, n° 11-20.724.
(3) Contrefaçon de marque figurative : la lente marche des semelles rouges, post du 9-10-2012 : US CA 2nd Circ 5-9-2012 n° 11-3303-cv.
(4) TGI Paris, 3ème ch. 1ère sect., 16-3-2017, n° 15/11131.
(5) CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 15-5-2018, n° 17/07124, en ligne sur Doctrine.fr, lien public accessible à tous (page consultée le 13-07-2018).