La décompilation d’un logiciel, quand elle n’est pas réalisée dans le cadre et les limites très stricts posés par la loi, est une contrefaçon. La Cour d’appel de Caen dans un arrêt rendu le 18 mars 2015 (1), a fait application de ce principe en condamnant l’auteur de la décompilation et de la publication du code source du logiciel Skype.
L’article L 122-6-1 IV du Code de la propriété intellectuelle, issu de la directive européenne sur la protection des logiciels, a introduit une exception au monopole des auteurs de logiciels en autorisant sous certaines conditions la décompilation, c’est-à-dire l’opération qui permet de reconstituer le code source d’un logiciel à partir du code objet ou exécutable, écrit dans un format binaire. La décompilation s’opère à partir d’un programme appelé décompilateur.
Mais la décompilation est très strictement encadrée la loi : elle n’est autorisée que si et dans la mesure où elle est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité d’un logiciel créé de manière indépendante avec d’autres logiciels. La décompilation doit ainsi avoir pour finalité exclusive la recherche d’interopérabilité entre logiciels, pour leur permettre de fonctionner ensemble et d’échanger leurs données.
La décompilation est en outre conditionnée au fait d’avoir un droit d’usage régulier du logiciel, et que les informations nécessaires à l’interopérabilité ne soient pas déjà rendues facilement accessibles, raison pour laquelle nombre d’éditeurs publient les spécifications d’interface de leurs logiciels.
La loi précise encore que les informations obtenues par décompilation ne peuvent être utilisées à d’autres fins que la réalisation de l’interopérabilité du logiciel créé de manière indépendante, et ne peuvent être communiquées à des tiers.
Au cas d’espèce, le prévenu comparaissait et a été condamné pour avoir publié sur internet un fichier Skype_rc4.c constituant pour l’essentiel une copie du fichier SkyCryptVI.CCP obtenu par décompilation du logiciel Skype et contenant l’algorithme d’expansion d’une clé de cryptage du logiciel Skype.
La cour a tout d’abord écarté l’argument selon lequel l’objet de la décompilation serait un simple algorithme et non un logiciel, opérant une intéressante distinction entre les deux notions articulée autour des spécifications fonctionnelles. Elle a ainsi relevé que le fichier concerné constituait un ensemble d’instructions écrites dans un langage de programmation évolué, reflet de spécifications fonctionnelles particulières propres au logiciel Skype, caractérisant l’existence d’un logiciel, alors qu’un algorithme s’entend d’une succession d’opérations traduisant un énoncé logique de fonctionnalités sans spécifications fonctionnelles.
La cour a ensuite refusé de condamner l’opération de décompilation en tant que telle, considérant qu’il n’était pas établi qu’elle ait excédé le cadre légal. En effet, le prévenu a fait valoir que la décompilation avait été réalisée dans le seul but de mettre au point une technique fiable et sécurisée d’échanges d’information sur internet compatibles avec Skype. L’argument a porté.
En revanche, c’est l’utilisation des données obtenues par la décompilation qui, selon la cour, a constitué le délit de contrefaçon. En effet, le prévenu avait publié ces informations sur son blog dans un article intitulé « Skype’s biggest secret revealed » (Le plus grand secret de Skype révélé) où il invitait les internautes à « profiter » du « plus grand secret de communication de Skype l’algorithme d’expansion de clé de cryptage RC4 traduit en langage informatique C et pleinement réutilisable. ».
Cette publication contrevenait manifestement à l’interdiction édictée par l’article L 126-6-1 IV 2° du code de la propriété intellectuelle de communiquer à des tiers les informations obtenues par la décompilation.
Le motif invoqué à cette publication, à savoir ne pas laisser les seuls hackers profiter du système, n’a pas convaincu la cour, on ne s’en étonnera pas (2).
Cette décision apporte un éclairage fort intéressant sur un sujet de droit d’une grande complexité technique, où la frontière entre les usages permis et la contrefaçon est parfois difficile à tracer.
Laurence Tellier-Loniewski
Lexing Droit Propriété intellectuelle
(1) CA Caen, 18-3-2015, Christian D., Sean O., Ministère public c/ Skype Ltd et Skype Software Sarl.
(2) Voir le post du 04-06-2015.