L’association lesarnaques.com, qui détient le site du même nom, a été condamnée par la justice pour dénigrement.
L’association lesarnaques.com met à disposition des internautes un site, accessible à l’adresse www.lesarnaques.com, sur lequel ils peuvent échanger publiquement au sujet de professionnels.
Deux sociétés ont constaté que lorsqu’une recherche était effectuée à partir d’un mot-clé les moteurs de recherche redirigeaient directement vers le site www.lesarnaques.com.
Par un jugement du 23 novembre 2016 du Tribunal de commerce de Paris (1), l’association lesarnaques.com a été jugée responsable de dénigrement.
Une absence de passivité sur les contenus impliquant la responsabilité du dénigrement
Plusieurs messages, au caractère fortement dénigrant, étaient présents sur le site www.lesarnaques.com.
Les responsables du site lesarnaques.com, conscients du risque encouru en cas de propos diffamatoires ou dénigrants, évoquaient ce risque dans le « règlement intérieur » du site et prétendaient modérer les commentaires. Néanmoins, ce rôle était partiellement effectué, en effet :
- certains messages au caractère dénigrant n’avaient pas été supprimés ;
- certains mots dénigrants avaient été supprimés mais restaient parfaitement imaginables par le lecteur du commentaire.
Le site précisait modérer les contenus soumis par les utilisateurs. Partant, il jouait un rôle actif, c’est-à-dire une influence intellectuelle, sur ces contenus.
L’association lesarnaques.com, en décidant d’exercer cette influence a donc pris à sa charge la responsabilité de leur publication.
Le caractère malveillant des contenus renforcé par la présence du mot « arnaque » dans le nom du site
La définition du terme arnaque donnée par le dictionnaire Larousse est « Vol, escroquerie, duperie ». Il est ainsi établi que l’association de ce terme – par le biais du nom du site lesarnaques.com – à celui d’une société est constitutive de dénigrement ou de diffamation, suivant le contexte dans lequel les propos ont été proférés, en particulier leur auteur.
Partant, le tribunal a constaté que le site était le support de différents éléments accentuant le caractère malveillant des propos dénigrants :
- des éléments inscrits au sein de la présentation du site (« (.) les escrocs se servent notamment des nouvelles technologies(.) », « (.) notre but est d’éviter que des arnaqueurs sévissent sur notre pays. ») ;
- son nom, qui comporte le mot arnaque.
Par conséquent, la responsabilité de l’association lesarnaques.com a été retenue pour ces faits de dénigrement.
Une passivité à l’égard du référencement qui écarte la constatation du parasitisme
Le site lesarnaques.com hébergeait des publicités. Ces publicités, étaient sélectionnées par le service Google AdSense, sur les choix duquel l’association lesarnaques.com n’avait aucune influence.
Les sociétés demanderesses reprochaient à l’association lesarnaques.com, d’avoir, du fait de la présence de ces publicités, réalisé un profit à leurs dépens, et commis des actes de parasitisme.
Le tribunal a rejeté cette analyse en raison du rôle passif de l’association lesarnaques.com dans le choix des publicités.
Une décision nécessaire en raison de l’impact de tels sites
Cette décision révèle l’impact qu’un tel dénigrement sur internet peut avoir dans la vie économique d’opérateurs économiques.
Si l’internaute exerce seul une influence sur le contenu diffusé il en est le responsable. Dès lors qu’une influence intellectuelle est exercée par le responsable du site hébergeant ces commentaires, il endosse alors la responsabilité des contenus (2).
D’un point de vue plus global les chiffres démontrent la nécessaire responsabilité des responsables de tels sites :
- selon une étude de l’IFOP de décembre 2014, intitulée « l’impact de l’e-réputation sur le processus d’achat », en moyenne 88% des internautes consultent des avis de consommateurs en ligne sur des blogs, des forums ou des sites de consommateurs. Chez les 25-34 ans ce chiffre est de 95%. 85% des internautes affirment que des avis négatifs peuvent les dissuader de réaliser un achat sur Internet. Ce chiffre monte à 93% chez les 25-34 ans ;
- ces chiffres sont à mettre en parallèle avec l’étude de Pôle Emploi du 12 avril 2016 intitulée « le secteur du numérique et ses métiers » selon laquelle ce secteur employait, au 31 décembre 2014, 689 925 salariés en France métropolitaine, soit 3,9% de l’emploi salarié marchand non agricole.
Ainsi, il parait désormais indispensable de sanctionner les sites qui, par leur dénomination ou leur présentation, visent à détourner de façon injustifiée les internautes d’opérateurs économiques qu’ils présentent.
En effet, les répercussions de tels actes, tant au regard du comportement des internautes que des règles gouvernant la concurrence, sont désormais considérables, tant du point de vue de l’économie que de celui de l’emploi.
Cette décision soulève par ailleurs un autre élément : si la passivité peut être présumée en l’absence de modération des avis, elle ne l’est plus dès lors que l’architecture même du site et de ses classifications laissent à penser que l’opérateur économique visé est un escroc.
Par conséquent, il semblerait que cet arrêt aille dans le sens d’une évolution jurisprudentielle en phase avec la place désormais centrale qu’occupe internet, et, de façon plus large, indispensable à la pérennité et au développement du secteur.
Virginie Bensoussan-Brulé
Raphaël Liotier
Lexing Droit presse et pénal numérique
(1) TC Paris, 23-11-2016, 8e ch., SAS X. et SA Y. / L’Association « lesarnaques.com »
(2) Ronan Hardouin, La responsabilité limitée des prestataires techniques dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique, Thèse de doctorat, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, sous la direction de Valérie-Laure Benabou, 2011.