Le TGI de Paris rappelle les conditions de la diffamation envers une personne dépositaire de l’autorité publique.
Suite à la publication sur Facebook de propos le visant personnellement, un ancien conseiller du Président de la République avait déposé une plainte avec constitution de partie civile du chef de diffamation publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique, sur le fondement des articles 29 alinéa 1er et 31 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Les propos poursuivis étaient les suivants : « Cette personne a été décorée par François Hollande alors qu’il est impliqué dans une procédure pour avoir voyer un individu sur ordre de monsieur X. (conseiller à l’Elysée) pour nous casser la porte à notre domicile pour qu’on enlève une plainte contre Monsieur X. pour faux et usage de faux ».
Des propos diffamatoires
La 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 4 juillet 2017 (1), s’est d’abord prononcée sur le caractère diffamatoire des propos.
Le tribunal a commencé par rappeler classiquement les critères de qualification de la diffamation en énonçant :
« l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ;
- il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure – caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait- et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
- l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
- la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent ».
Le tribunal a estimé que les propos, qui portaient bien sur des faits précis susceptibles de preuve, revêtaient bien un caractère diffamatoire, ceux-ci imputant à la partie civile des infractions pénales.
Ainsi, les propos qui portaient bien atteinte à l’honneur et à la considération de la partie civile, étaient bien qualifiés au regard de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881.
Sur la qualité de la victime au regard de la loi du 29 juillet 1881
La question était dès lors de savoir si la partie civile, conseiller à l’Elysées à l’époque des faits, était bien visée en sa qualité de personne dépositaire de l’autorité publique.
Le procureur de la République, dans ses réquisitions, avait estimé qu’il « était difficile de retenir que la fonction de conseiller à l’Élysée était le support nécessaire de la complicité de dégradation relevée ».
Le conseil du prévenu demandait la relaxe, estimant que la partie civile aurait dû viser la qualification de diffamation publique envers un particulier et non envers une personne dépositaire de l’Etat.
L’article 31 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 vise ainsi les diffamations commises « à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers le Président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l’une ou de l’autre Chambre, un fonctionnaire public, un agent ou dépositaire de l’autorité publique, un ministre de l’un des cultes salariés par l’Etat, un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat public temporaire ou permanent ».
L’application de cet article fait l’objet d’une jurisprudence abondante, et une mauvaise application du texte à des conséquences dramatique puisqu’une mauvaise qualification aboutit à la nullité de la poursuite, et par suite à la prescription de l’action publique.
Un conseiller auprès du président de la République n’est pas nécessairement un agent dépositaire de l’autorité publique
Sur ce point, le tribunal considéré dans un premier temps que la qualité de conseiller auprès du Président de la République n’était pas, « en elle-même, de nature à lui conférer la qualité de citoyen chargé d’un service public ou d’un mandat public, accomplissant une mission d’intérêt général et exerçant des prérogatives de puissance publique ».
Le tribunal a également considéré que la partie civile ne démontrait pas qu’elle disposait de « pouvoirs propres ou d’une délégation de signature lui conférant des prérogatives de puissance publique » et a observé qu’un « conseiller à la présidence, dont l’activité consiste par définition à conseiller le chef de l’État, n’a pas vocation à exercer la puissance publique en lieu et place de celui ».
Le tribunal a donc estimé dans un premier temps que la partie civile ne démontrait pas que sa qualité de conseiller auprès du Président de la République lui conférait la qualité de citoyen chargé d’un mandat ou d’un service public, temporaire ou permanent, au sens de l’article 31 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881.
Les accusations diffamatoires doivent être en rapport avec la fonction publique alléguée
Outre le fait que la partie civile ne démontrait pas sa qualité de citoyen chargé d’un mandat ou d’un service public, le tribunal a relevé que les accusations diffamatoires portées par le prévenu, à savoir des faits de complicité de dégradation au préjudice d’une partie civile pour l’influencer ou par représailles, ou encore menace et intimidation visant une victime pour la déterminer à ne pas porter plainte ou à se rétracter, étaient « sans rapport avec les fonctions à l’Élysée, dans la mesure où il n’est pas nécessaire d’être conseiller du Président pour commettre le fait allégué et où les activités professionnelles de Monsieur X. n’ont été, ni le moyen d’accomplir les menaces supposées, ni leur support nécessaire, le fait d’envoyer quelqu’un pour casser une porte pouvant être commis par un simple particulier ».
Le tribunal a donc estimé, conformément à la jurisprudence constante en la matière que « la poursuite aurait dû ainsi être exercée sur le fondement de la diffamation publique envers particulier » et a relaxé le prévenu.
Chloé Legris
Lexing département e-réputation et diffamation
(1) TGI Paris, 17e ch. corr. 4-7-2017, M. X. / M. Y.