Faute de pouvoir bénéficier de l’excuse de bonne foi, une élue engage sa responsabilité pour avoir diffamé son adversaire politique.
La maire LR d’une ville de la banlieue parisienne, élue en 2014, a accusé une ancienne conseillère municipale PS d’avoir volé du matériel informatique appartenant à la commune, sur la page Facebook de sa ville, depuis son compte personnel.
Les propos litigieux ont été publiés dans un contexte de tension politique entre les deux élues.
A la fin de ses fonctions, en 2014, l’ancienne conseillère municipale avait reçu plusieurs courriers lui demandant de restituer le matériel informatique que la commune lui avait confié dans le cadre de ses fonctions. L’élue avait fini par le restituer trois mois après la fin de ses fonctions ; après une menace de la mairie de porter plainte pour vol.
En 2018, soit quatre ans après la restitution du matériel, l’ancienne élue constate qu’un commentaire l’accusant expressément d’avoir commis un vol. Ce commentaire a été publié par la maire actuelle sur la page Facebook de la ville. Elle décide d’agir en diffamation publique envers un particulier ; estimant que les propos lui imputent une infraction pénale et constituent donc une diffamation portant atteinte à son honneur et à sa considération.
La maire lui oppose l’absence de caractère diffamatoire des propos publiés et, subsidiairement, sa bonne foi.
Le caractère diffamatoire des propos
Dans un jugement du 13 janvier 2021, la 17ème chambre civile du Tribunal judiciaire de Paris juge que les propos « imputent en effet, par la référence au code pénal et au fait de voler des biens appartenant à la collectivité » à l’ancienne élue, identifiable parce que le propos poursuivi répond à un propos publié par elle, « d’avoir refusé de restituer du matériel électronique appartenant à la collectivité ».
Pour le tribunal, dès lors que les propos litigieux accusent l’ancienne élue d’avoir tenté de voler ou d’abuser de la confiance de la collectivité, ils renferment l’imputation d’un fait précis, susceptible d’un débat sur la preuve de sa vérité et portant atteinte à son honneur et à sa considération et ont, par conséquent, un caractère diffamatoire.
L’excuse de bonne foi
La maire à l’origine des propos litigieux invoquait l’excuse de bonne foi, faisant valoir qu’elle :
- n’était pas journaliste,
- s’exprimait « à chaud » sur Facebook où des expressions de moindre exactitude seraient tolérées ainsi qu’une « dose d’exagération ou de provocation » dans le contexte d’un débat politique au sein d’une commune et
- poursuivait un but d’information légitime dès lors que l’ancienne conseillère municipale s’était montrée récalcitrante à restituer le matériel qui lui avait été confié par la collectivité.
Les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire. Elles peuvent néanmoins être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi.
Pour pouvoir bénéficier de l’excuse de bonne foi, l’auteur des propos diffamatoires doit établir qu’il :
- poursuivait un but légitime : l’imputation diffamatoire doit être justifiée par les nécessités de l’information ou la défense de l’intérêt général ;
- n’était animé par aucune animosité personnelle ;
- a conservé une prudence dans l’expression ;
- a réalisé une enquête sérieuse.
Ces critères sont cumulatifs. Ils s’apprécient avec une moindre rigueur lorsque l’auteur des propos diffamatoires n’est pas un journaliste mais une personne elle-même impliquée dans les faits dont elle témoigne.
Le rejet de l’excuse de bonne foi par le tribunal
En l’espèce, le tribunal considère, contrairement à ce qu’affirme l’élue poursuivie :
- que le sujet ne concerne pas l’intérêt général et
- qu’il n’a aucun rapport avec l’actualité ou le sujet légitime d’une polémique opposant les deux élues.
Pour le tribunal, la maire ne justifie en outre pas d’une base factuelle lui permettant d’alléguer que l’ancienne élue se serait rendue coupable de vol ou d’abus de confiance. Les échanges de correspondances sur lesquels elle se fonde établissent seulement que l’ancienne élue ne s’est pas montrée de bonne composition pour l’organisation de la restitution du matériel dont il s’agit.
Le tribunal relève également que la maire s’est exprimée sans prudence et avec une certaine malveillance et que :
- « ses propos, loin de pouvoir se réclamer des dispositions de l’article 10 de la CEDH, ont dégénéré en attaque personnelle de Madame X., sans aucun lien avec le contexte de publication ».
Selon la 17ème chambre du Tribunal judiciaire de Paris, un élu, ne doit pas :
- « inverser la règle qui veut qu’en effet, dans le cas de polémiques politiques relatives au rôle ou au fonctionnement des institutions, une plus grande liberté d’expression soit tolérée, ce qui peut être le cas de propos remettant en cause les décisions prises par un adversaire politique ».
Par conséquent, le tribunal juge que la maire ne peut se voir accorder le bénéfice de la bonne foi. Elle engage donc sa responsabilité pour avoir publié des propos diffamatoires.
Il prend en compte le fait que la publication « émane d’une personnalité publique », fait « particulièrement dommageable sur un plan moral ». Il condamne l’élue à verser à son adversaire politique :
- 3 000 euros de dommages intérêts et
- 3 000 sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Virginie Bensoussan Brulé
Alexandra Guermonprez
Lexing Contentieux numérique