Les députés européens ont renvoyé l’examen de la directive droit d’auteur au mois de septembre prochain.
Le 5 juillet 2018, le Parlement dans son ensemble a voté en plénière, par 318 voix contre 218 et 31 abstentions, pour le rejet du mandat de négociation proposé par la commission des affaires juridiques le 20 juin 2018 pour permettre à la directive droit d’auteur de faire l’objet d’un débat, d’amendements et d’un vote pendant la prochaine session plénière, en septembre.
Directive droit d’auteur, dans quel contexte ?
Ce projet intervient dans un but de modernisation de la loi européenne en matière de droit d’auteur afin de l’adapter à l’ère numérique, la directive «droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information» (1) de 2001 étant la dernière règlementation sur le sujet.
Dans un monde dominé par les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), il est apparu nécessaire de protéger les auteurs et leurs ayants droits dont les créations sont trop souvent reproduites sans autorisation.
Ainsi les propositions de la Commission doivent permettre de mettre en place :
- un plus grand choix et un accès amélioré, et transfrontières aux contenus en ligne ;
- un régime de droits d’auteur plus favorable pour l’enseignement, la recherche, le patrimoine culturel et l’inclusion des personnes handicapées ;
- un marché plus équitable et plus viable pour les créateurs, le secteur de la création et la presse (2).
Défendue par les artistes et les éditeurs de presse, la directive droit d’auteur a donc pour but de rééquilibrer le marché numérique.
Directive droit d’auteur, que contient-elle ?
Lors de son discours sur l’état de l’Union en 2016 (2), le président de la Commission Jean Claude Juncker a affirmé qu’il souhaitait «que les journalistes, les éditeurs et les auteurs soient rémunérés équitablement pour leur travail, peu importe que celui-ci soit réalisé dans un studio ou dans un salon, diffusé hors ligne ou en ligne, publié via un photocopieur ou relié à un hyperlien sur Internet».
Deux mesures sont notables :
La première apparaît dans l’article 11 de la directive droit d’auteur et instaure la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse devant leur permettre de percevoir une rémunération en cas d’utilisation de leurs contenus en ligne par un plateforme de partage telles que Youtube, Dailymotion, Google News.
De manière originale, ce droit n’est pas rattaché à l’idée de protection d’une création (comme l’est le droit d’auteur européen) mais est centré sur l’idée d’une rémunération des contenus rassemblés par les agrégateurs et les moteurs de recherches.
Il a pour objectif de reconnaître le rôle des éditeurs de presse en termes d’investissement et de contribution à la création de contenus journalistiques de qualité, «ce qui est essentiel pour l’accès des citoyens à la connaissance dans nos sociétés démocratiques».
Ainsi, ils seront titulaires de droits leur permettant de négocier une rémunération pour la reprise même partielle de leurs contenus. Il faut noter que la simple utilisation d’un lien hypertexte devra donner lieu à une rémunération.
La seconde mesure de cette directive droit d’auteur se trouve dans l’article 13 et reconnait les responsabilités des plateformes en matière de rémunération des créateurs. Avec cet article, la Commission européenne cherche à instaurer un cadre juridique incitant les GAFAM à conclure des accords de licence avec les artistes ou leurs ayants droits.
Ce type d’accord existe déjà mais la Commission cherche à les rendre systématique.
A défaut d’accord, les plateformes de partage devront mettre en place un système de filtrage automatisé a priori permettant de détecter les contenus soumis au droit d’auteur et d’empêcher leur publication. La Commission tâche ainsi de responsabiliser les géants du Web afin de lutter contre le piratage.
En créant un filtrage a priori, cette mesure renverserait le système actuel dans lequel les hébergeurs n’ont qu’une obligation de supprimer au plus vite un contenu qui leur est signalé comme étant contraire au droit d’auteur.
Directive droit d’auteur, pourquoi est-elle critiquée ?
Les articles 11 et 13 de la directive droit d’auteur ont fait l’objet de vives attaques par les GAFAM et d’autres organisations dénonçant une censure d’internet.
L’article 11 a été critiqué en ce qu’il conduirait à ralentir la circulation de l’information si les liens renvoyant à un contenu en ligne étaient taxés (3).
Cette mesure pourrait même conduire à l’apparition en masse de fausses nouvelles, l’accès à des informations fiables étant rendu plus difficile et plus cher. L’article 11 irait donc à l’encontre de l’effet recherché entravant la libre circulation de l’information.
Cet article est également attaqué en ce qu’il remettrait en en cause le business modèle de certaines plateformes basé sur le partage de contenu par les internautes, tel que Wikipédia. L’association Wikimédia France alerte sur le fait que «créer des liens hypertextes, citer de courts extraits et partager du contenu sont des composantes fondamentales d’Internet» (4).
L’accès au site Wikipédia a d’ailleurs été bloqué en signe de protestation.
L’article 13 de la directive droit d’auteur a, quant à lui, été critiqué en ce qu’il créerait une censure automatisée à grande échelle allant même jusqu’à interdire la reprise de contenus à vocation humoristique (les parodies).
En outre, pour ces opposants, ce contrôle a priori pourrait conduire les plateformes à opter pour un système de précaution, filtrant en masse la diffusion de contenus ce qui irait à l’encontre des principes d’internet reposant sur le partage des connaissances.
Enfin, certains soutiennent qu’un algorithme ne pourrait réaliser ce filtrage, les droits d’auteurs des différents pays d’Europe étant trop nombreux pour pouvoir être appréhendés par une machine.
Dans ces conditions, 147 organisations se sont réunies afin de combattre cette directive.
C’est ainsi que le 5 juillet 2018, les députés européens ont renvoyé l’examen de la directive droit d’auteur.
Après le vote, le député Axel Voss (PPE, DE), rapporteur du texte (5), a déclaré : »Je regrette qu’une majorité de députés n’aient pas soutenu la position que la commission des affaires juridiques et moi-même avons défendue. Mais cela fait partie du processus démocratique. Nous allons maintenant revenir sur cette question en septembre pour un nouvel examen et tenter de répondre aux préoccupations des citoyens tout en actualisant nos règles de droit d’auteur avec l’environnement numérique moderne » (6).
Marie Soulez
Caroline Franck
Lexing Propriété intellectuelle contentieux
(1) Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
(2) Communiqué de presse de la Commission Européenne, État de l’Union 2016 : La Commission propose de moderniser les règles de l’UE sur le droit d’auteur pour favoriser l’essor et la diffusion de la culture européenne, (IP /16/3010 du 14-9-2016).
(3) Pétition du 24-4-2018 : Academics against Press Publishers’ Right.
(4) Communiqué du Conseil d’administration de Wikimédia du 11-6-2018, Réforme européenne du droit d’auteur : menaces sur les projets Wikimedia.
(5) Rapport d’Axel Voss pour la Commission des affaires juridiques sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, A8-0245/2018 du 29-6-2018.
(6) Communiqué de presse du Parlement européen du 5-7-2018, Règles sur le droit d’auteur: réexamen par le Parlement en septembre.