La définition du droit de l’espace est un exercice auquel la doctrine s’est longtemps confrontée, sans parvenir à une solution unanime.
De même que la question de la délimitation de l’espace ne fait pas consensus, sa définition en tant que droit autonome n’est pas évidente. Il est toutefois désormais admis que le droit de l’espace se caractérise notamment au regard de ses principes directeurs, principes pour beaucoup dérogatoires du régime commun.
Considérations historiques
Le droit de l’espace est né dès la fin des années cinquante, concomitamment aux premiers développements des activités spatiales par les Etats-Unis et l’URSS. Le premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik, est lancé et mis en orbite le 4 octobre 1957 par l’URSS. La première présence de l’Homme dans l’espace a, quant à elle, eu lieu le 12 avril 1961, lorsque Youri Gagarine participe à la mission Vostok 1, dans le cadre d’un programme spatial russe, visant à affirmer la suprématie de l’URSS dans la course à l’espace. La réaction internationale s’en ressent immédiatement, la presse mondiale relate l’évènement et la course à la Lune devient alors plus pressante.
Mais ces nouvelles opportunités, et l’incertitude quant au grand gagnant de cette course entre les deux géants de l’Est et de l’Ouest, font craindre aux Etats une appropriation de ces territoires jusqu’alors inaccessibles.
Le droit n’a donc pas attendu pour s’emparer de ce nouveau domaine qui faisait émerger un nombre considérables de problématiques juridiques. Dès 1959, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la résolution 1472 (1), instituant un Comité ad hoc des Nations Unies, le Comité pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS). Ce nouvel organe avait pour charge d’examiner « l’étendue de la coopération internationale et d’étudier les moyens pratiques et applicables d’exécuter des programmes touchant les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique qui pourraient être utilement entrepris sous les auspices de l’Organisation des Nations unies ».
Deux sous-comités – technique et juridique – ont été institués sous le COPUOS, le comité juridique étant notamment chargé d’élaborer les premières réglementations internationales en matière spatiale.
L’espace est l’une des clés de voute permettant de mettre en œuvre de nombreuses politiques au service de notre société. Une première résolution 1962(XVIII) a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 1963, « Déclaration des principes juridiques régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique » (2). S’en suivent une construction exponentielle du droit de l’espace, grâce à l’établissement, d’abord, de cinq traités constitutifs des grands principes du droit spatial international, et ensuite de l’adoption de résolutions plus spécifiques de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Toutefois, si de grands principes ont été adoptés, après cinq traités et huit résolutions, la question de la définition du droit de l’espace est restée en suspens. Les premières préoccupations étaient plus celles d’empêcher que les premières puissances spatiales s’approprient les corps célestes selon la logique colonialiste des premiers colons américains, que celle de définir explicitement l’objet de ce – peut-être – nouveau droit. Néanmoins, certains travaux ont permis de faire émerger deux tendances : une définition négative du droit de l’espace et une définition positive.
La première démarche : une définition négative du droit de l’espace
Il a été très rapidement admis que le droit de l’espace devait se distinguer du droit aérien, développé quelques décennies auparavant. S’il apparaît clairement que les deux droits n’ont pas pour objet un espace identique, il a été immédiatement reconnu que le droit aérien était irrigué par une logique commercialiste, dans laquelle le passager constitue un maillon essentiel de la chaîne commerciale, à contrario du droit spatial.
Par ailleurs, l’aéronef bénéficie d’une définition claire, posée à l’Annexe 7 (p.13) de la Convention de Chicago du 7 décembre 1944 (3), en tant que tout appareil pouvant se soutenir dans l’atmosphère grâce à des réactions de l’air, autres que les réactions de l’air sur la surface de la Terre. En droit français, l’ordonnance de 28 octobre 2010 (4) vient insérer un nouvel article L.6100-1 au Code des transports, définissant l’aéronef comme « tout appareil capable de s’élever ou circuler dans les airs ».
En droit international public, le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, également appelé Traité de l’Espace de 1967 (5), se réfère à la notion « d’objet spatial » et de « véhicule » mais n’en donne aucune définition. Il faut attendre la convention de 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux (6) pour que soit défini l’objet spatial. Ainsi au sens de cette convention, un « objet spatial » désigne également les éléments constitutifs d’un objet spatial, ainsi que son lanceur et les éléments de ce dernier. Sans davantage de précisions, il est possible de considérer que tout objet lancé dans l’espace extra atmosphérique, y compris les éléments de lanceurs, doit être considéré comme un objet spatial.
La nature et la finalité des aéronefs et des objets spatiaux est donc totalement différente, le propre même des objets spatiaux étant de se placer dans l’espace extra-atmosphérique, voire d’être satellisés autours d’un corps céleste (le plus souvent la Terre). Si certains objets spatiaux retombent sur Terre (notamment afin de rapatrier les spationautes (7) de l’ISS) ils n’ont pas vocation à être réutilisés, contrairement aux aéronefs.
Enfin, la notion de passager n’est en rien comparable à celle de spationaute. Pour comprendre la notion de spationaute, il faut se référer à la genèse du droit de l’espace où les seuls vols habités concernaient des activités gouvernementales. Le traité de l’Espace prévoit à son article V que « les États parties au Traité considéreront les astronautes comme des envoyés de l’humanité dans l’espace extra-atmosphérique ». Le droit aérien retient une définition du passager bien différente. Tel que défini par les conventions de Varsovie et de Montréal (8), le passager est une personne physique, également dénommée « voyageur ». Il obtient de la part du transporteur, contre rémunération, un « billet de passage » (art. 1 Convention de Varsovie). Le champ d’application de la convention de Montréal tel que défini à l’article 1.1 de la Convention, stipule que cette dernière s’applique à tout transport international de personnes, bagages ou marchandises, effectué par aéronef contre rémunération.
Ainsi, le droit de l’espace se distingue du droit aérien tant au regard de leur cadre géographique, que matérialiste ou finaliste. Néanmoins, si ce constat permet de distinguer les deux droits, il n’offre que peu d’informations sur les caractéristiques propres du droit de l’espace.
Vers une définition positive : une difficile appréhension
Qu’est-ce que finalement le droit de l’espace ? Il est le droit qui désigne l’ensemble de la réglementation et des pratiques juridiques relatives aux activités spatiales, comme le droit aérien est celui propre aux activités aériennes. Mais encore ? La difficulté de la définition du droit de l’espace est surtout celle de son autonomie. Le droit spatial est-il un droit autonome à part entière ou est-il finalement dépendant de diverses autres branches du droit ?
Les traités et résolutions des Nations Unies relatifs à l’espace militent en faveur de l’autonomie de ce droit. Ils définissent un nombre conséquent de grands principes spécifiques à cet environnement si particulier. De même, certaines lois nationales et contrats participent à l’indépendance du droit de l’espace. La loi française sur les opérations spatiales (9), prise au regard de la réglementation internationale applicable, illustre clairement la spécificité du droit de l’espace. Les Conventions relatives à la création d’agences spatiales (10) s’inscrivent dans une logique similaire. De même, les contrats de fabrication de satellite, de lancement ont des particularités telles (en matière de responsabilité notamment) que le droit de l’espace semble constituer un droit à part entière, en dehors de tout cadre général.
Toutefois, il apparaît que la spécificité du droit de l’espace est en réalité propre au milieu même que représente l’espace extra-atmosphérique et aux conséquences des activités spatiales en termes de sécurité. C’est cette logique de sécurité et de minimisation des dangers qui oriente les négociations internationales vers l’interdiction de l’utilisation d’armes de destruction massive dans l’espace. Cette même logique qui dirige les débats vers une utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique. Cette logique encore qui impose l’instauration du régime si particulier de responsabilité du droit de l’espace, qu’il s’agisse notamment de la reconnaissance internationale d’une responsabilité objective sans faute pour les dommages subis à la surface de la Terre, ou de la conclusion de clauses exclusives de responsabilité entre participants aux spatiales.
Comment comprendre la notion du droit de l’espace ? (11) Au regard de ces premiers éléments, le droit de l’espace ne se limite pas à régir les activités dans l’espace. En effet, la construction d’un satellite obéira à certaines considérations de droit spatial, alors que cette activité aura lieu sur Terre. De même, le droit de l’espace ne peut se limiter au droit des objets spatiaux, dans la mesure où ces derniers bénéficient d’une définition internationale les rapprochant de la notion de produit. Or les services de lancement ou d’exploitation d’un satellite doivent pourtant se voir gouvernés par le droit de l’espace (12). La définition à retenir serait donc plus celle d’un droit régissant les activités spatiales au sens large.
Cette solution conduit cependant à l’émergence d’une nouvelle problématique faisant douter de l’autonomie du droit de l’espace. Ce dernier régit les contrats conclus dans le cadre des activités spatiales (construction, lancement et exploitation de satellite), il régit les activités des Etats, il régit les résultats issus des recherches menées sur l’ISS, il régit les débris spatiaux… Cette pluridisciplinarité du droit de l’espace amène à la question suivante : le régime dérogatoire du droit de l’espace lui confère-t-il des volets de droit international public, international privé, contractuel, de propriété intellectuelle, de droit de l’environnement – ou bien le droit de l’espace n’existe-t-il pas autrement qu’en tant que droit dépendant de l’ensemble des matières parties prenantes aux activités spatiales. Le droit de l’espace serait alors morcelé par discipline, et constituerait souvent une exception au cadre général.
Quelle que soit la solution retenue, qui conserve une part non négligeable de subjectivité en fonction des courants de tout un chacun, il est incontestablement possible de dégager les grands principes fondateurs du droit de l’espace. Peu importe finalement qu’il s’agisse d’un droit unifié ou dépendant d’une multitude de disciplines juridiques.
Fréderic Forster
Johanna Chauvin
Lexing Constructeurs informatique et télécoms
(1) Résolution 1472 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 12-12-1959.
(2) Résolution 1962(XVIII) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 13-12-1963.
(3) Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale du 7-12-1944.
(4) Ordonnance n°2010-1307 du 28-10-2010 relative à la partie législative du Code des transports, JORF du 3-11-2010.
(5) Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, 27-1-1967, Traité et principes des nations unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique, New York, 2002, p. 3.
(6) Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux, 29-3-1972, Traité et principes des nations unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique, New York, 2002, p. 14.
(7) Le terme spationaute européen est l’équivalent du terme astronaute américain, cosmonaute russe ou taikonautes chinois.
(8) La Convention de Varsovie du 12-10-1929 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (première convention de droit international privé en matière aérienne, marque la naissance du droit aérien)
et la Convention de Montréal du 28-5-1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, JORF du 22-6-2004.
(9) Loi n° 2008-518 du 3-6-2008 relative aux opérations spatiales, JORF du 4-6-2008, p. 9169.
(10) Décret n° 80-1004 du 10-12-1980 portant publication de la Convention portant création d’une Agence spatiale européenne, ensemble cinq annexes, faite à Paris le 30-5-1975, préambule, JORF du 14-12-1980, p. 2946.
(11) Kerrest Armel, « Droit de l’esapce. Droit des activités spatiales. Quelques définitions et remarques sur une approche pluridisciplinaire », IISL-ECSL symposium on capacity building in space law, UNCOPUOS, legal subcommittee, 26/27-3-2007, Vienne.
(12) Il importe que le droit de l’espace régisse ces activités en raison des spécificités juridiques précitées imposées par l’espace extra-atmosphérique.