La Commission européenne a publié le 14 septembre 2016 un projet de directive visant à réformer le droit d’auteur.
Depuis plusieurs années, la modernisation du droit d’auteur au sein de l’Union européenne fait débat. L’objectif principal de la Commission étant de parvenir à un marché performant pour le droit d’auteur, impliquant notamment « la possibilité offerte aux titulaires de droit de délivrer des licences et d’être rémunérés pour l’utilisation de leur contenus, y compris les contenus diffusés en ligne » (1).
Le projet de directive introduit au sein de l’article 11 un droit voisin pour les éditeurs de presse. Si cette mesure a obtenu un large soutien parmi les éditeurs, elle est également l’objet de nombreuses critiques de la part des opposants à un élargissement du droit d’auteur.
Pourquoi instaurer un droit voisin pour les éditeurs de presse ?
La question d’un droit d’auteur pour les éditeurs de presse n’est pas nouvelle mais s’est intensifiée en raison des avancées technologiques et du numérique, et particulièrement de la pratique du « crawling » et de l’indexation. Il ne s’agit pas d’un simple renvoi vers un titre de presse, qui augmente le flux de visites sur le site internet de l’éditeur, mais d’une véritable indexation de tout ou partie du contenu d’articles sur d’autres sites.
Le nombre de visites diminue donc considérablement, rendant le site des éditeurs moins attrayant pour les annonceurs, première source de financement du modèle de la presse en ligne. Les « crawleurs » peuvent alors tirer profit commercialement des articles de presse en l’absence de tout effort intellectuel ou financier.
Or, l’investissement des éditeurs de presse est considérable puisqu’ils rémunèrent les journalistes, sélectionnent les sujets abordés et permettent la diffusion des articles. En conséquence de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer la « reconnaissance du rôle de l’éditeur de presse dans la chaine de valeur ». Cette demande s’appuie également sur la limitation des moyens d’action en justice des éditeurs de presse ; « en l’absence de reconnaissance d’un droit spécifique au profit de l’éditeur qui a la responsabilité de l’ensemble, celui-ci a bien souvent recours au seul droit des marques ou aux règles de la responsabilité civile »(2).
L’idée d’un droit voisin pour les éditeurs de presse peut trouver écho dans de nombreux régimes similaires mis en œuvre au profit de tiers à la création. Les producteurs de vidéogrammes et de phonogrammes, ainsi que les entreprises de communication ont déjà une protection « de droit voisin ». Quant à la dimension purement économique de la participation des éditeurs, les producteurs de bases données bénéficient d’un droit sui generis du seul fait de leurs investissements « substantiels ».
Le projet de directive instaure un droit voisin pour les éditeurs de presse, ayant la particularité d’être limité aux usages numériques et qui exclut tout mécanisme de gestion collective. Ce droit peut être mis en œuvre par l’éditeur dans un délai de 20 ans à compter du 1er janvier qui suit la publication de l’article de presse (3).
L’éditeur peut accorder des licences pour l’utilisation de ses articles sur internet, licences pouvant donner lieu à redevance
Revirement de la Commission des affaires juridiques du Parlement européen : du droit voisin au droit de défense
Le rapport de la Commission des affaires juridiques du Parlement européen, publié le 10 mars 2017 et rédigé par la députée Therese Comodini Cachia, propose de supprimer le droit voisin projeté par la proposition de directive et de le remplacer par un droit d’action.
Alors que les considérants du projet initial de directive appuyaient sur la nécessité de garantir un journalisme de qualité par le biais d’« une presse libre et pluraliste », les amendements ajoutés par le rapport précisent « un internet ouvert et une presse libre et pluraliste sont indispensables (…) ». L’ajout d’une telle mention souligne les tentatives d’équilibre et de compromis à l’œuvre au sein des institutions européennes, entre, d’une part, le libre partage de l’information et, d’autre part, la valorisation de cette information par une rémunération.
Le rapport propose donc de se contenter d’un droit d’action en justice composé d’une présomption de défense et d’un pouvoir de représentation. Ce nouveau droit offrirait la possibilité aux éditeurs de disposer d’un fondement juridique concret pour lutter contre la réutilisation injustifiée des articles publiés sur leur site et défendre leurs investissements.
Ainsi, le rapport écarte la reconnaissance d’un droit voisin pour les éditeurs de presse dont la portée est également symbolique.
Certains se réjouissent évidemment de ce tempérament notamment, Julia Reda qui a réagi sur le rapport en affirmant: « aucune des controversées pièces maîtresses de la proposition de réforme du droit d’auteur ne jouit d’un soutien majoritaire au sein du Parlement européen ». A l’inverse, les représentants des éditeurs ont rapidement exprimé leur déception et leur colère.
Il convient de préciser que le sujet n’est pas encore clos et devrait évoluer dans les prochains mois. Suite à la publication du rapport de Therese Comodini Cachia, un millier d’amendements a été déposé par les députés européens (4).
Le lobbying des éditeurs de presse est divisé en plusieurs fronts. Il est également à l’œuvre contre le projet de règlement e-privacy qui pourrait leur interdire de collecter directement les données de leurs lecteurs (5). Il serait alors impossible pour les éditeurs de presse en ligne de vendre aux annonceurs publicitaires des ciblages publicitaires.
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Propriété intellectuelle
(1) Communication UE COM(2015) 626 final du 9-12-2015
(2) Ministère de la Culture et de la Communication, Rapport du 1-7-2016
(3) Proposition de directive COM(2016) 593 final du 14-9-2016, art. 11 et 12
(4) Amendements sur le projet de rapport Droit d’auteur sur le marché unique numérique du 17-5-2017
(5) Proposition de Règlement européen COM(2017) 10 final du 10-1-2017