Drones armés : la conformité au droit international. La France s’apprête à se doter de drones armés dans le contexte des débats du Groupe d’experts gouvernementaux à l’ONU (1).
Notre précédent billet* mettait l’accent sur la difficile définition des systèmes d’armes létales autonomes (SALA). Ce second billet a pour objet l’analyse de la conformité de tels systèmes au droit international.
La conformité des drones armés au droit international
Il existe une confusion récurrente entre le drone armé, vecteur d’armes en tant que tel, et l’utilisation qui en est faite. Le rapport n°559 (2) a également tenté de clarifier cela : « Ii y a confusion entre une arme et la manière de s’en servir ».
Quatre aspects sont à distinguer :
- la légalité des drones armés ;
- la légalité de l’usage de drones armés par la France ;
- la légalité prospective des SALA ;
- la légitime défense : l’image ternie des drones armés découlant de leur usage par les américains.
1° De la légalité des drones armés
Le rapport n°559 affirme que le drone n’est pas en soi contraire au droit international de sorte que son interdiction serait non fondée. La problématique est pourtant mal formulée. Les rapporteurs affirment que « l’utilisation de drones armés n’est pas par nature contraire au droit international ». Bien au contraire. Si le drone n’est pas illégal par nature, en ce qu’il n’est qu’un vecteur d’armes, c’est justement son utilisation qui peut enfreindre le droit international.
Une seconde incohérence est à relever : tout en défendant l’idée que le drone n’est pas par nature illégal, les rapporteurs admettent que « les caractéristiques en termes de fiabilité (des drones) sont mal connues ». Or, c’était précisément ce point qu’il fallait clarifier afin de tarir les principales contestations.
2° De l’usage légal des drones armés par la France
Le Sénat a pu affirmer dans son rapport n° 559 que l’usage des drones armés par la France n’enfreindra pas les principes internationaux : « Les forces françaises, notamment à travers l’application des règles d’engagement fixées pour chaque opex, doivent respecter l’ensemble de ce corpus juridique » (Rapport n° 559, note 4 p. 50).
L’emploi de drones armés sera encadré de la même façon que n’importe quelle arme de guerre par des règles d’engagement : « La « chaîne d’engagement » pour une opération où le drone tire lui-même serait identique à celle en vigueur pour toutes les opérations déjà menées par des avions de combat ou par un couple drone-avion de combat. C’est cette chaîne d’engagement qui garantit la légalité et la légitimité de la mission. Elle repose sur un processus précis d’identification de la cible, de vérification des règles d’engagement, d’estimation préalable des dommages collatéraux, et, enfin, de décision par l’autorité en charge sur le théâtre d’opérations ».
Les règles d’engagement sont telles qu’à chaque action, l’analyse de terrain doit permettre d’apprécier la proportionnalité de l’offensive, sa nécessité et assurer la distinction entre combattants et non combattants. Sur ce dernier point, le système de drone armé devrait assurer le respect du principe de distinction. Ses charges utiles lui permettent d’obtenir les informations en temps réel et de procéder à un tir d’opportunité instantané après analyse des possibles dommages collatéraux. Du fait de la prédominance ces dernières années des conflits asymétriques, cette capacité de distinction devient une nécessité (3).
3° De la légalité prospective des SALA
Le droit des conflits armés ne semble pas remis en question du seul fait de la présence des drones armés existants. En revanche, la question pourra se poser pour les SALA. Néanmoins, l’article 36 de la Convention de Genève est une première protection au dévoiement des nouvelles technologies en matière d’armement. En vertu de cet article, les nouvelles armes pourront être déployées une fois leur capacité à se conformer au droit international démontrée.
Le Groupe d’experts gouvernementaux sur les SALA devraient ouvrir la voie à l’identification d’une réglementation dans le contexte des objectifs et des buts de la Convention sur certaines armes classiques. La publication d’un code de conduite apparaît comme une solution première.
Des exemples de principes ont été suggérés :
- N’utiliser les SALA que contre certains objectifs militaires ;
- En cas de doute, ne pas tirer ;
- Prévoir un système de désactivation à distance ;
- Faire application du principe de subsidiarité.
4° De la légitime défense : l’image ternie des drones armés découlant de leur usage par les américains
Il est vrai que les opérations américaines au Moyen-Orient ont suscité de vifs débats quant à la conformité des drones au droit international. En réalité, ces critiques sont teintées par le caractère illégitime des interventions américaines dénoncées. Le débat sur le recours à la force des Etats-Unis se confond donc avec celui sur la légalité des drones en tant qu’arme.
En effet, le débat ne concerne plus les drones mais le droit d’ingérence d’un pays tiers. A cet égard, le rapport prend le soin de distinguer les opérations françaises des opérations américaines, sources premières de critiques. Pourtant, c’est sur les mêmes fondements que la France justifie son recours à la force, par exemple « en s’appuyant sur les notions de légitime défense contre des acteurs non étatiques et le consentement des États à autoriser ces opérations sur leur territoire ».
Les interventions en Centre-Afrique, au Mali et Irak ont ainsi été justifiées. Toutefois, « dans le cas de la Syrie, il n’existait ni demande de la part de l’Etat syrien, ni résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est donc sur le fondement de la légitime défense que la France est intervenue. La notion de légitime défense peut être invoquée, dans la conception française, en réponse à une attaque armée dépassant un certain seuil de gravité, ce qui était assurément le cas des actions menées par Daesh. Il s’agit cependant, non de la légitime défense individuelle, mais de la légitime défense collective : l’Irak a fait l’objet d’une agression armée de la part de Daesh et l’Irak a demandé l’assistance de la communauté internationale. Ainsi, l’intervention en Syrie doit être considérée comme la prolongation de l’intervention menée en Irak à la demande des autorités de ce pays ».
Cette appréciation de la légitime défense française semble tout aussi subjective et extensive que celle invoquée par les Etats-Unis et que le Sénat ne manque pas de mettre en doute : « Il existe en effet dans certains cas des doutes sérieux sur le respect (par les américains) du cadre fixé par le droit international : frappes menées par les services de renseignement, invocation d’une légitime défense comprise de manière très extensive » (Rapport n°559, p. 51 & 52, Partie II, C, 2). Ainsi, par analogie à la critique portée sur l’appréciation de la légitime défense revendiquée par les américains, la justification de l’intervention française en Syrie pour légitime défense paraît tout aussi contestable. Mais ceci est un autre débat.
L’essentiel est que la France s’est saisie de la question des drones armés. De nombreuses questions restent encore sans réponse. Ces difficultés attestent finalement d’un droit international qui ne correspond plus totalement à la réalité des conflits et aux intérêts des grandes puissances.
Didier Gazagne
Alix Desies
Lexing Défense et sécurité – Drones
* Notre précédent billet mettait l’accent sur la difficile définition des systèmes d’armes létales autonomes (SALA) : « Drones armés – Une prise de conscience française confirmée : une notion aux contours mal définis » (paru le 08-10-2018).
(1) Compte rendu de la réunion d’experts sur certaines armes classiques de mai 2014.
(2) Rapport d’information n°559 « Drones d’observation et drones armés : un enjeu de souveraineté », Doc. Sénat, 23-5-2017.
(3) Pour aller plus loin : Minilex, Droit des systèmes autonomes, Edition Larcier, à paraître en 2019.
(3) Article précédent : « Drones armés, une prise de conscience française confirmée (1/2) : une notion aux contours mal définis » du 8-10-2018.
(3) Article sur les SALA : « Faut-il interdire les systèmes d’armes létales autonomes (SALA) ? » du 28-9-2018.