Pierre angulaire du droit de l’e-réputation, l’article 6 I de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) pose le principe de l’irresponsabilité pénale des prestataires de stockage du fait des contenus de tiers qu’ils hébergent, sauf s’ils avaient effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite ou si, du moment où ils en ont eu connaissance, ils n’ont pas agi promptement pour les retirer.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 juin 2004 (1), avait toutefois émis une réserve d’interprétation considérant que l’inertie de l’hébergeur ne pouvait être sanctionnée que si le caractère illicite du contenu dénoncé est manifeste ou qu’un juge en a ordonné le retrait.
Or, dans la pratique, et en l’absence d’une définition de la notion de « manifestement illicite », de nombreux hébergeurs se soustraient à leur obligation en se retranchant derrière l’absence de démonstration du caractère « manifeste » de l’illicéité du contenu mis en cause.
Les faits qu’avaient à connaître le Tribunal de grande instance de Brest, dans son jugement du 11 juin 2013 (2), illustrent parfaitement cette situation.
Sur un blog d’une ancienne collègue de travail, une femme était la cible récurrente d’accusations « objectivement délirantes » portant atteinte à son honneur et sa considération et d’invectives et propos foncièrement outrageants.
Constatant cela, la victime adresse une mise en demeure à l’hébergeur du blog afin d’obtenir la suppression des propos, lequel décide de ne pas exécuter la mise en demeure considérant « qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur le caractère illicite des contenus publiés ». Elle poursuit alors l’auteur du blog pour diffamation et injure publiques sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 et l’hébergeur pour complicité par aide ou assistance.
Pour condamner ce dernier, le tribunal va se livrer à une interprétation de l’article 6 I de la LCEN à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2004 en mettant en avant qu’il n’est pas exigé que « le contenu soit certainement illicite, mais seulement qu’il le soit manifestement ».
Et à lui d’ajouter, « tel est notamment le cas lorsque les propos litigieux comportent l’imputation de faits dont la vérité est très improbable en raison de leur nature même, de leur caractère outrancier et du contexte dans lequel ils sont émis ».
Si l’on peut regretter l’absence d’une définition claire de la notion de contenu « manifestement illicite », on peut néanmoins se féliciter de cette position allant à l’encontre du fort courant doctrinal appréhendant cette formulation comme ne visant que « les atteintes graves à l’ordre public, la défense nationale, la sécurité, mais pas de simples violations de la loi ».
S’il est confirmé en appel, ce jugement pourrait servir de base aux victimes d’e-réputation pour obtenir plus facilement des hébergeurs le retrait de contenus illicites sans avoir à obtenir une décision judiciaire.
Virginie Bensoussan-Brulé
Julien Kahn
Lexing Droit presse et pénal numérique
(1) Décision n° 2004-496 DC du 10-6-2004.
(2) TGI Brest 11-6-2013 Josette B./Catherine L., SAS Overblog.