Par un arrêt du 19 juin 2013 (1), la première chambre civile de la Cour de cassation a mis fin à une longue saga visant à déterminer la responsabilité en matière d’e-réputation de la société Google Inc. du fait des contenus affichés sur son moteur de recherche par l’intermédiaire de son Google Suggest. Ce service offre une application qui, lorsqu’un internaute tape les premières lettres de sa requête dans la barre de recherche de Google, permet de lui proposer plusieurs mots ou expressions qui y sont associés.
Les suggestions étant déterminées par le biais d’un algorithme, en fonction d’un certain nombre de facteurs, tels que la popularité des termes de recherche, elles peuvent tout aussi bien être neutres que désobligeantes.
Un individu, personne privée ou morale, peut ainsi très bien voir son nom associé à des termes comme « voleur », « assassin » ou encore « escroc » si ces mots ont régulièrement été associés à son nom par les internautes ou par les contenus publiés sur internet.
L’engagement de la responsabilité juridique de la société Google Inc. du fait des contenus mis en ligne par l’application Google Suggest impliquait de répondre à une question majeure : peut-on, en matière d’e-réputation, condamner quelqu’un qui n’a ni conscience ni intention de commettre une infraction ?
Pour éluder la question, la jurisprudence a longtemps raisonné en deux temps. Dans un premier temps, elle a écarté l’argument de la défenderesse sur le caractère automatisé de l’application en considérant que les logiciels à l’origine des algorithmes générant les suggestions étaient, à l’origine, produit par l’esprit humain.
Puis, dans un second temps, elle distinguait entre les actions en diffamation publique de celles en injure publique. Pour les premières, elle considérait que si les suggestions – « violeur », « viol », « sataniste », etc. – pouvaient être considérées comme diffamatoires, la défenderesse devait, toutefois, bénéficier de l’excuse de bonne foi (2).
Pour les actions en injure publique, en revanche, la tendance était majoritairement de conclure en la responsabilité de la société Google Inc. Ainsi, dans un cas où le terme « secte » était associé à la dénomination sociale d’une société, le Tribunal de grande instance de Paris avait jugé que « les défendeurs ne sauraient utilement soutenir qu’une telle expression ne peut être lue indépendamment des articles auxquels elle renvoie alors que les internautes qui ne l’ont pas sollicitée, la voient s’afficher sous leurs yeux et peuvent ne pas se connecter aux sites indexés » (3).
Dans l’arrêt d’appel à l’origine du pourvoi en cassation dont il est ici question, la cour d’appel avait condamné Google Inc. estimant que l’ « adjonction de l’épithète « escroc » est outrageante envers la demanderesse en ce qu’elle la dévalorise et la rabaisse. Aucun fait précis, déterminé n’est renfermé par cette imputation. Contrairement à ce qui a été soutenu devant la cour d’appel, le terme « escroc » sert d’évidence à ainsi qualifier la société demanderesse ».
Par son arrêt du 19 juin 2013, la Haute juridiction va casser la décision de la Cour d’appel de Paris et, par la même occasion, harmoniser la jurisprudence portant sur ce nouveau pan de la e-réputation, en considérant que les résultats de Google Suggest sont « exclusifs de toute volonté de l’exploitant du moteur de recherche d’émettre les propos en cause ou de leur conférer une signification autonome au-delà de leur simple juxtaposition et de leur seule fonction d’aide à la recherche ».
Le fait que la Cour de cassation se fonde sur le « processus purement automatique dans son fonctionnement et aléatoire dans ses résultats » que constitue l’application Google Suggest, alors qu’elle aurait pu recourir à un critère plus aléatoire comme le délai de prescription de trois mois qui cours à compter de la mise à disposition du public des propos poursuivis, démontre sa volonté de pérenniser sa solution. Au regard de cette position, il semble que le seul moyen d’obtenir la suppression des contenus et, éventuellement, la condamnation de Google Inc, soit dorénavant d’agir sur sa qualité d’hébergeur.
Quoiqu’il en soit, l’e-réputation est un enjeu majeur pour les entreprises qui subissent des critiques dirigées contre elles-mêmes, leurs dirigeants et leurs produits ou services (salariés frustrés, clients mécontents, concurrents ayant perdu un appel d’offres, etc.). Elles doivent d’être particulièrement vigilantes quant à leur e-réputation sur les blogs et les réseaux sociaux, qui deviennent de nouveaux supports pour critiquer une marque (4). Pour contrer une mauvaise e-réputation, il convient de réagir vite car la prescription des actions en matière de diffamation est de 3 mois !
Protéger son e-réputation contre les contenus préjudiciables diffusés sur Internet est aujourd’hui une priorité pour les entreprises.
Virginie Bensoussan-Brulé
Julien Kahn
Lexing Droit Vie privée et Presse numérique
(1) Cass. civ 1, 19-6-2013 n°12-17591.
(2) CA Paris 14-12-2011, RG n°10-19109 ; Cass. civ 1, 19-2-2013 n°12-12798.
(3) TGI Paris 17ème ch. 15 02 2012, Kriss Laure c./Google Inc. et Larry P.
(4) Cf. notre blog « E-réputation ».