Le Tribunal de grande instance de Caen se prononce sur l’obligation d’identification de tout éditeur professionnel (1).
Suite à l’élection du maire d’Ouistreham en 2014, deux opposants ont créé un blog sur lequel ils publiaient des informations à caractère «politique et satirique».
Le maire a estimé que certains propos pouvaient être considérés comme des abus à la liberté d’expression. Il s’est, ensuite, rendu compte qu’il manquait les mentions légales permettant l’identification des auteur, éditeur et directeur de la publication.
Ainsi, la commune d’Ouistreham a adressé un courriel au site internet «Le Petit Bédouin» afin d’obtenir toutes les informations et leur publication sur internet.
Estimant qu’ils n’étaient pas éditeurs professionnels, les défendeurs ont fait droit aux demandes d’informations du demandeur mais n’ont pas complété le site et ont, par ailleurs, refusé de payer la facture présentée par la mairie pour la gestion de l’affaire.
La commune d’Ouistreham a fait assigner l’association «Le Petit Bédouin» et ses représentants devant le Tribunal de grande instance de Caen.
Les conditions d’identification d’un éditeur professionnel au sens de la LCEN
Le tribunal de grande instance a, dans un premier temps, rappelé que l’article 6, III de la loi du 21 juin 2004 prévoit l’obligation, pour les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne, de mettre à disposition plusieurs informations.
Ainsi, l’obligation d’identification de l’éditeur est plus lourde pour les professionnels que pour ceux qui ne le sont pas.
Les défendeurs n’exercent pas la profession d’éditeur mais il faut entendre de l’article 6 qu’un éditeur professionnel est celui qui participe à la diffusion d’une information sur le réseau sans être un hébergeur, de manière régulière ayant un objectif autre que personnel.
Le tribunal de grande instance, se fondant sur une interview donnée par les défendeurs au journal Ouest-France, a observé qu’il y avait environ une vingtaine de publications par mois, à caractère notoirement satirique et politique, faites sur le blog.
Il a, ainsi, considéré qu’en qualité d’éditeurs professionnels, les défendeurs ne se sont pas conformés aux exigences posées par la loi du 21 juin 2004 ; les coordonnées de l’hébergeur ont été notifiés en bas de page d’accueil à partir du 14 novembre 2014 mais jusqu’au 28 janvier 2016 les mentions a), b) et c) de l’article 6, III, 1 ont été que partiellement complétées.
L’aspect du commerce électronique d’un éditeur professionnel
Le Tribunal de grande instance de Caen, sur le fondement des articles 14 et 19 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, a considéré le site internet «Le Petit Bédouin» comme un commerce électronique. Le blog doit, donc, se conformer aux dispositions le régissant telles que prévues dans l’article 19. Il doit donc assurer obligatoirement, étant un éditeur professionnel et tenant un commerce électronique, plusieurs informations à ses lecteurs.
Il a, ainsi, considéré qu’en qualité d’éditeurs professionnels, les défendeurs ne se sont pas conformés aux exigences posées par les points 1° et 2 de l’article 19 de la loi du 21 juin 2004 jusqu’au 28 janvier 2016.
La qualification de «publication de presse» d’un éditeur professionnel
Le tribunal de grande instance, sur le fondement de l’article 5 de la loi du 1er août 1986, a rappelé les critères de la qualification de «publication de presse».
En l’espèce, les articles et commentaires du site «Le Petit Bédouin» ont un support écrit, sont consultables par le public et sont réguliers.
En application des articles 6 et 11 de la loi du 29 juillet 1881, chaque publication doit avoir un directeur dont le nom soit public et respectueux des modalités d’insertion.
Le tribunal de grande instance a, ainsi, considéré qu’en qualité d’éditeurs professionnels, les défendeurs ne se sont pas conformés aux exigences posées par les points 1°, 2° et 3° de l’article 5 de la loi du 1er août 1986 et aux article 6 et 11 de la loi de 1881 jusqu’au 28 janvier 2016.
L’hypothèse du préjudice collectif dû à la résistance abusive de l’ éditeur professionnel
Le tribunal de grande instance, a observé qu’à aucun moment la commune de Ouistreham a été destinataire de plaintes, de requêtes ou encore de réclamations de la part d’un tiers à l’encontre du site et de sa résistance abusive envers l’application de la législation en vigueur.
Ainsi, le tribunal considère que les demandeurs n’ont pas démontré que leurs démarches judiciaires ont été dictées par un intérêt public.
Le tribunal de grande instance en a déduit que, le préjudice collectif invoqué par les demandeurs sur le fondement de la résistance abusive de l’ éditeur professionnel est uniquement hypothétique.
Un moyen non visé par les demandeurs ; le préjudice moral
Le tribunal de grande instance se prononce sur le préjudice moral que les demandeurs invoquent, il considère que la démonstration du caractère critiquable, voire calomnieux des articles ne peut être jugée car ce moyen ne faisait pas partie de ceux invoqués par les demandeurs.
En conséquence, le tribunal de grande instance a, débouté Monsieur X et la commune de Ouistreham de leurs demandes de réparations. Il rejette, de même, les demandes fondées sur l’article 700 du Code de procédure civile.
Virginie Bensoussan-Brulé
Raphaël Liotier
Lexing Contentieux numérique
(1) TGI Caen, 1ère ch. civ, 9 avril 2018.