Les ressemblances graphiques de documents électoraux peuvent-elles avoir une incidence sur le résultat d’une élection ?
Arrêt du Conseil d’Etat du 30 août 2016
Par arrêt du 30 août 2016 (1), le Conseil d’Etat confirme le jugement du Tribunal administratif de Montpellier, en rejetant les demandes d’une candidate tendant à annuler les opérations électorales qui se sont déroulées les 22 et 29 mars 2015 pour les élections au conseil départemental.
La candidate soutenait que les documents de campagne d’un binôme de candidats entretenaient une confusion volontaire avec la charte graphique de la ville et de la métropole de Montpellier.
Le Conseil d’Etat confirme que le document de campagne de ce binôme présentait des similitudes, en termes de mise en page, de police et de couleur, avec le bulletin municipal.
Néanmoins, l’instruction révèle que ces ressemblances graphiques ne revêtent, pas en l’espèce, le caractère d’une manœuvre susceptible d’avoir eu une incidence sur le résultat de l’élection. Le Conseil d’Etat a estimé que ces ressemblances n’avaient pas le caractère d’utilisation des moyens de la commune au profit du binôme de candidats.
Enfin, le Conseil d’Etat a précisé que ne constituait pas une manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin :
- le fait que le maire de Montpellier a fait mention, lors de la cérémonie des vœux en janvier 2015, de la candidature du binôme de candidats pour les élections ;
- les deux mentions d’une candidate dans le bulletin municipal, en octobre 2014 et novembre 2014, à propos de de son action en tant qu’adjointe au maire. Le conseil d’Etat précise que ces mentions ne comportent aucune référence aux élections départementales.
Election, charte graphique et caractérisation de « manœuvre »
Le Conseil d’Etat avait déjà affirmé sa position sur les similitudes des chartes graphiques en période d’élections. En effet, dans un arrêt du 7 janvier 2015 (2), le Conseil d’Etat avait déjà jugé que :
« Il ne résulte pas de l’instruction que la charte graphique utilisée dans cette brochure ait correspondu à celle ayant cours dans les documents émanant de la commune. Il n’en résulte pas non plus que la similitude entre l’intitulé de la brochure et le slogan utilisé par la commune » Bien vivre à Nailloux « , alors que la liste du maire sortant était dénommée » Ensemble pour Nailloux « , ait introduit une confusion susceptible de revêtir, en l’espèce, le caractère d’une manœuvre ayant eu une incidence sur le résultat de l’élection, ni que les électeurs aient pu être induits en erreur par la mention de réalisations imputables à d’autres collectivités, ou encore par le port de vêtements, par le maire et certains élus, dans l’exercice de leurs fonctions, d’une couleur évoquant celle du matériel de campagne de leur liste ».
Il conviendrait donc de démontrer que la similitude des chartes graphiques des documents entraîne une confusion susceptible de revêtir le caractère d’une manœuvre ayant eu une incidence sur le résultat de l’élection.
La notion de « manœuvre » est d’origine prétorienne et permet au juge électoral de sanctionner l’usage par un candidat à une élection de procédés illégaux ou déloyaux ayant porté atteinte à la sincérité de l’élection.
Même si elles sont caractérisées, le juge ne les sanctionnera qu’à la condition que les manœuvres soient matériellement établies et aussi qu’elles aient été effectivement de nature à altérer la nature du scrutin.
Au vu de la jurisprudence, la manœuvre est caractérisée si elle réunit :
- un élément matériel : agissements illégaux et/ou déloyaux afin de tromper les électeurs ;
- un élément intentionnel : le caractère délibéré de la manœuvre. Celle-ci doit avoir eu pour objet de tromper les électeurs.
Il n’est donc pas aisé de convaincre le juge de l’existence d’une manœuvre.
Si toutes les conditions sont réunies, la sanction sera l’annulation de l’élection du candidat, auteur de la manœuvre ou des opérations électorales, si ces dernières ont été altérées.
Toutefois, cette annulation n’est pas automatique. Dans son arrêt du 4 février 2015 (3), le Conseil d’Etat rappelle la démarche à adopter par le juge électoral :
« Considérant qu’il appartient au juge de l’élection, lorsqu’il constate une ou plusieurs manœuvres de cette nature, de rechercher si, eu égard aux résultats des opérations électorales, elles ont altéré la sincérité du scrutin dans son ensemble ; que, dans l’affirmative, il lui appartient d’annuler l’intégralité des opérations électorales ; que, dans la négative, il lui appartient seulement d’annuler, le cas échéant, l’élection des candidats figurant sur la liste irrégulièrement constituée ».
L’article L 118-4 du Code électoral introduit également une sanction d’inéligibilité pour une durée maximale de trois ans pour le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin.
Charte graphique et propriété intellectuelle
Les similitudes des chartes graphiques des documents pourraient être appréhendées sur un autre fondement n’ayant toutefois pas le même objet.
Aux termes de l’article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle :
« L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».
De plus, l’article L 112-2 du Code de la propriété intellectuelle donne une liste non exhaustive des œuvres protégeable par le droit d’auteur. Les œuvres graphiques et typographiques en font partie.
Les droits d’auteur s’appliquent à toutes œuvres de l’esprit quels qu’en soient le genre, le mérite ou la destination, à la seule condition que ces œuvres présentent un caractère original.
Tel peut être le cas lorsque la présentation de la page du document, n’apparaît ni nécessaire, ni générique, tant par le choix des couleurs que par son organisation, les différents intitulés ou les polices de caractère choisies.
La commune aurait pu agir sur le fondement de la contrefaçon contre le binôme de candidats si elle avait démontré l’originalité de sa charte graphique et autres éléments du document. La contrefaçon est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.
Marie Soulez
Julie Langlois
Lexing Propriété intellectuelle Contentieux
(1) CE, 4e ch., 30-8-2016, n°394159.
(2) CE, 1e SSJS, 7-1-2015, n°382916.
(3) CE, Sect. cont., 4-2-2015, n°s 385555, 385604 et 385613.