L’introduction des exosquelettes dans l’usine du futur nécessite la consultation préalable par l’employeur des IRP, instances représentatives du personnel. Or dans le contexte du développement de l’usine du futur, les exosquelettes sont au cœur de la modernisation du système de production.
Exosquelettes dans l’usine du futur : un nouveau défi
Un exosquelette peut être défini comme une carapace articulée et motorisée dont un être humain peut s’équiper pour démultiplier ses forces et porter des poids élevés (plusieurs dizaines de kilos) ou parcourir des distances importantes avec moins de fatigue (1).
Permettant de maintenir plus longtemps en poste des salariés spécialisés et réduisant la pénibilité inhérente à certains métiers, les exosquelettes sont prévus déjà dans certaines entreprises, comme c’est le cas sur les chantiers de Bouygues, le groupe de bâtiment et travaux publics, en 2018-2020 (2).
On comprend donc tout l’intérêt que présentent les exosquelettes pour un employeur. C’est ainsi que le groupe Areva NP, qui réalise la maintenance des centrales nucléaires, a mené une campagne d’essais d’exosquelettes entre janvier et juin 2016 dans son établissement de Chalon-sur-Saône. A cette occasion la démarche a été validée par les instances représentatives du personnel (3).
Ainsi, l’introduction d’exosquelettes au sein des usines et entreprises comporte des enjeux juridiques qui doivent être appréhendés par l’employeur le plus en amont possible, dès le stade du projet. Dès lors, il est important de déterminer quelles sont les actions que doit mener l’entreprise pour mettre en œuvre un tel projet.
Exosquelettes dans l’usine du futur : les acteurs de la consultation
L’introduction d’exosquelettes au sein d’une entreprise est susceptible de créer des obligations pour l’entreprise qui poursuit ce projet vis-à-vis notamment des institutions représentatives du personnel.
Tout d’abord, vis-à-vis du comité d’entreprise, lorsque l’entreprise envisage de mettre en œuvre un projet important d’introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail, le comité d’entreprise doit être préalablement informé et consulté sur l’ensemble du projet par application des dispositions de l’article L. 2323-29 du Code du travail.
De même, l’article L. 2323-30 du Code du travail dispose que « lorsque l’employeur envisage de mettre en œuvre des mutations technologiques importantes et rapides, il établit un plan d’adaptation. Ce plan est transmis, pour information et consultation, au comité d’entreprise en même temps que les autres éléments d’information relatifs à l’introduction de nouvelles technologies ».
Le plan de formation contient et fixe les mesures de formation permettant aux salariés de maîtriser leurs nouveaux outils de travail et de s’adapter parfaitement au nouvel environnement informatique.
Le non-respect de ces dispositions constitue le délit d’entrave prévu à l’article L. 2328-1 du Code du travail et est sanctionné par une amende de 7 500 €.
Par application des dispositions du premier alinéa de l’article L. 4612-9 du Code du travail, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est également consulté sur le projet d’introduction et lors de l’introduction de nouvelles technologies. Dans les entreprises dépourvues de comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les délégués du personnel ou, à défaut, les salariés sont consultés.
A titre liminaire, il convient donc de déterminer si le projet d’introduire des exosquelettes dans une entreprise entre dans le champ d’application de ces dispositions légales. Pour se faire, il faut définir les technologies concernées sur lesquelles porte le projet, d’une part, et les conséquences sociales dudit projet, d’autre part, en déterminant si le projet en question :
- porte sur une « nouvelle technologie » ;
- doit être qualifié de projet « important ».
Exosquelettes dans l’usine du futur : une « nouvelle technologie au sens de l’article L.2323-29 du Code du travail ?
La notion de « nouvelles technologies » n’est pas légalement définie. Selon l’administration (4), les « nouvelles technologies » doivent être entendues dans le sens le plus large, à savoir toute mesure d’automatisation, d’informatisation, de robotisation affectant les méthodes de gestion, de fabrication ou de production.
Une nouvelle technologie n’est pas nécessairement une technologie qui était auparavant inconnue ou qui n’a jamais été mise en œuvre.
Cette notion s’entend aussi de l’introduction d’une technologie différente dans l’entreprise, même lorsque cette technologie est largement répandue dans le secteur d’activité concerné et dans le reste de l’économie.
Au vu de ce qui précède, l’appréciation de la notion de « nouvelle technologie » doit se faire de façon concrète, c’est-à-dire par référence à l’entreprise dans laquelle les nouvelles technologies s’appliquent, et non de manière générale (5). Toutefois, la technologie des exosquelettes étant relativement récente, il est fort probable que leur introduction dans les usines du futur puisse être considérée comme une « nouvelle technologie ».
Exosquelettes dans l’usine du futur : un projet important ?
La notion de « projet important » n’est pas non plus définie par les textes. Selon l’Administration, il doit s’agir d’un projet qui doit être suffisamment élaboré. Une esquisse, les propositions d’un bureau d’études ne sont pas assimilables à un projet qui doit être suffisamment élaboré.
Pour la jurisprudence, l’importance du projet s’apprécie en fonction des modifications que le projet apporte dans l’organisation et la marche de l’entreprise et de ses conséquences sur la situation du personnel (6).
Est considéré comme constituant un projet important l’installation d’un nouveau système informatique plus moderne et mieux adapté affectant six cent postes de travail et impliquant une nouvelle formation (7).
En conclusion, il pourrait donc être opportun de réaliser une étude, au préalable, un audit de l’environnement technologique existant dans l’entreprise afin de déterminer les conséquences sociales de l’introduction d’exosquelettes. Les personnes habilitées dans l’entreprise à évaluer de façon efficace l’importance du projet sont le Directeur des systèmes d’information et le Directeur des ressources humaines. En effet, ils pourront identifier quelles seront les conséquences sur la marche et l’organisation de l’entreprise pour le DSI et sur les conditions de travail pour le DRH.
Lexing Alain Bensoussan Avocats
Lexing Droit Informatique Conseil
(1) Éthique de la recherche en robotique, rapport n° 1 de la Cerna (Commission de réflexion sur l’Éthique de la Recherche en sciences et technologies du Numérique d’Allistene), nov. 2014.
(2) Bouygues : “des exosquelettes sur nos chantiers en 2018-2020” : La revue du digital, 20-1-2016.
(3) Dossier : « La prévention 2.0, Prendre les TMS à bras-le-corps« , Revue Travail et sécurité, n°777, nov. 2016.
(4) Circulaire DRT n° 1984/12 du 30-11-1984 portant l’application des dispositions concernant le comité d’entreprise dans la loi n° 82-915 du 28-101982 relative au développement des institutions représentatives du personnel
(5) CA Colmar 16-1-1985 : Dr. ouvrier 1985 p. 169 note F. S.
(6) Cass. soc. 3 mai 1994 : RJS 10/94 nº 1148.
(7) Cass. soc. 28 octobre 1996 : RJS 2/97 n° 160.