La Cour de cassation renvoie à la CJUE la question de l’exploitation des œuvres audiovisuelles de l’INA (1).
Reprochant à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) de commercialiser, sur son site Internet, sans leur autorisation, des vidéogrammes et un phonogramme reproduisant les prestations d’un batteur de jazz décédé, les ayants droit de ce dernier ont assigné l’INA pour obtenir réparation de l’atteinte ainsi prétendument portée aux droits d’artiste-interprète dont ils sont titulaires. Pour ce faire, ces derniers ont invoqué l’article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle. Selon cet article, sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image.
Devant la Cour d’appel de renvoi, la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse (Spedidam) est intervenue volontairement, à la fois à l’appui des prétentions des ayants droit et à titre principal, en sollicitant la condamnation de l’INA à lui payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif subi par la profession d’artiste-interprète.
L’objet du pourvoi : les œuvres audiovisuelles de l’INA
Les ayants droit ont formé un pourvoi en cassation contre la décision de la Cour d’appel de renvoi. Ils invoquaient, au soutien de leurs prétentions, les articles 2, sous b), 3 § 2 et 5 de la directive 2001/29/CE pour une harmonisation de certains aspects des droits d’auteur et des droits voisins.
Tout d’abord, ils argumentaient que les dispositions en cause n’instauraient aucune présomption simple d’autorisation préalable de l’artiste-interprète à l’exploitation par l’INA des archives qui contiennent son interprétation.
Ensuite, ils alléguaient que la Cour d’appel de renvoi avait jugé que le régime dérogatoire de l’INA instituait valablement au bénéfice de cette dernière une présomption simple de consentement préalable de l’artiste-interprète à l’exploitation commerciale de la fixation de ses prestations figurant dans les archives de l’INA, sans rechercher si les dispositions en cause aménageaient des garanties assurant l’information effective et individualisée des artistes-interprètes sur l’éventualité d’une telle exploitation.
Enfin, ils indiquaient que, bien que la mission de conserver et mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national assumé par l’INA soit d’intérêt général, la poursuite de cet objectif et de cet intérêt ne saurait justifier une dérogation non-prévue par le législateur de l’Union à la protection assurée aux artistes-interprètes par la directive 2001/29/CE permettant à l’INA d’exploiter commercialement les supports sur lesquels ont été fixées leurs interprétations.
Œuvres audiovisuelles de l’INA : la décision de la Cour de cassation
Dans sa décision, la Cour de cassation rappelle l’article L.212-3 , alinéa 1er, du Code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image. L’article L212-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l’artiste-interprète.
Le régime dérogatoire, au profit de l’INA, est institué par l’article 49 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986, dans sa version modifiée par l’article 44 de la loi du 1er août 2006. En qualité d’établissement public de l’Etat à caractère industriel et commercial, l’INA est chargé de conserver et de mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national. Il assure notamment la conservation des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme et contribue à leur exploitation. A ce titre, il bénéficie des droits d’exploitation des extraits des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme. Il exerce ses droits dans le respect des droits moraux et patrimoniaux des titulaires de droits d’auteurs ou de droits voisins du droit d’auteur et de leurs ayants droit.
Ce texte prévoit que «par dérogation aux articles L. 212-3 et L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle, les conditions d’exploitation des prestations des artistes-interprètes des archives mentionnées au présent article et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et l’institut. Ces accords doivent notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations». La Cour de cassation a jugé, le 14 octobre 2015 (2), que ce régime dérogatoire n’est pas subordonné à la preuve de l’autorisation par l’artiste-interprète de la première exploitation de sa prestation.
Œuvres audiovisuelles de l’INA : la saisine de la CJUE
L’article 5 de la directive 2001/29/CE énonce que les Etats membres ont la faculté de prévoir différentes exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public prévus aux articles 2 et 3 de la même directive qu’il énumère. Il convient de noter que le considérant 32 de la directive précise que cette liste des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public est exhaustive. Or, le régime dérogatoire dont bénéficie l’INA n’entre dans le champ d’aucune des exceptions et limitations que les Etats membres ont la faculté de prévoir sur le fondement de l’article 5 précité.
Dans un arrêt C-301/15 du 16 novembre 2016 (3), la CJUE a jugé que la protection que les articles 2 et 3, §1, de la directive 2001/29 confèrent aux auteurs doit se voir reconnaître une large portée et que, si la directive précitée ne s’oppose pas à ce qu’une règlementation nationale poursuive un objectif dans l’intérêt culturel des consommateurs et de la société dans son ensemble, la poursuite de cet objectif et de cet intérêt ne saurait justifier une dérogation non prévue par le législateur de l’Union à la protection assurée aux auteurs par cette directive.
Or, la Cour de cassation considère que la solution retenue par la CJUE dans l’arrêt précité n’est pas transposable au présent litige dans la mesure où le régime dérogatoire institué au profit de l’INA dans un but d’intérêt général lui permettant d’exploiter les droits dont il est titulaire, a vocation à concilier les droits des artistes-interprètes avec ceux des producteurs, d’égale valeur.
La question se pose de savoir si les articles 2, b), 3, §2, et 5 de la directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au régime dérogatoire dont bénéficie l’INA.
La CJUE est saisie de la question préjudicielle de savoir si les dispositions précitées doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce qu’une réglementation nationale instaure au profit de l’INA, bénéficiaire, sur les œuvres audiovisuelles, des droits d’exploitation des sociétés nationales de programme, un régime dérogatoire prévoyant que les conditions d’exploitation des prestations des artistes-interprètes et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu soient régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et cet institut, ces accords devant notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations.
Marie Soulez
Solène Gérardin
Lexing Propriété intellectuelle contentieux
(1) Cass. 1e civ. 11 juillet 2018, n° 17-18.177.
(2) Cass. 1e civ. 14 octobre 2015, n° 14-19.917.
(3) CJUE, 16 novembre 2016, aff. C-301/15.