Marques et noms de domaine
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L’enregistrement d’une marque générique sans intention de l’utiliser pour obtenir un nom de domaine en « .eu » en période Sunrise : comment évaluer la notion de mauvaise foi ?
Le 10 février 2010, l’avocat général, Madame Trstenjak Verica, a rendu son opinion concernant une demande de décision préjudicielle soumise par l’Etat Autrichien à propos dune marque générique enregistrées dans le seul but de pouvoir enregistrer des noms de domaine en « .eu » en période Sunrise. Dans cette affaire, une société autrichienne (Internetportal und Marketing GmbH), avait en août 2005, procédé à l’enregistrement en Suède de 33 marques génériques en langue allemande, dont la marque R&E&I&F&E&N, signifiant « pneu » en allemand, et ce dans le seul but de pouvoir enregistrer le nom de domaine reifen.eu en période « sunrise » des noms de domaine en « .eu », soit entre le 7 décembre 2005et le 6 avril 2006. Contestant cet enregistrement, le titulaire de la marque Benelux REI FEN enregistrée en 2005, a formé un recours ADR (solution alternative aux litiges) devant la Cour d’arbitrage tchèque. Par décision ADR n°00910 du 24 juillet 2006, le transfert du nom de domaine reifen.eu a été ordonné par la Cour d’arbitrage tchèque au profit du titulaire de la marque Benelux.
Comme le prévoit l’article 22 (13) du règlement ADR, le titulaire du nom de domaine reifen.eu s’est opposé au transfert du nom de domaine reifen.fr en formant un recours devant les juridictions autrichiennes dans les 30 jours de la décision. Les juridictions inférieures ayant confirmé la décision de la Cour d’arbitrage tchèque et ayant ainsi confirmé le transfert du nom de domaine reifen.eu au profit du titulaire de la marque Benelux, la Cour suprême autrichienne, saisie du litige, a posé à la Cour de justice des Communautés européennes les 5 questions préjudicielles suivantes :
1 – L’article 21, paragraphe 1, sous A du règlement n° 874-2004 doit-il être interprété en ce sens qu’un droit au sens de cette disposition existe même :
2 – L’article 21, paragraphe 1, sous A dudit règlement doit-il être interprété en ce sens qu’un intérêt légitime n’existe que dans les cas prévus à l’article 21 paragraphe 2 ?
En cas de réponse négative à cette question :
3 – Existe-t-il également un intérêt légitime au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous A du règlement lorsque le titulaire du nom de domaine qui correspond à une dénomination générique tirée de la langue allemande est utilisée pour un site internet thématique ?
En cas de réponse positive aux première et troisième questions :
4 – L’article 21, paragraphe 3 du règlement doit-il être interprété en ce sens que seuls les faits énumérés sous A, de cette disposition permettent de fonder la mauvaise foi au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous B du règlement ?
En cas de réponse négative à cette question :
5 – Peut-on considérer que l’on se trouve en présence de mauvaise foi au sens de l’article 21, paragraphe 1, sous B lorsque le nom de domaine a été enregistré lors de la première phase de la procédure d’enregistrement par étape sur la base d’une marque correspondant à une dénomination générique, tirée de la langue allemande, marque que le titulaire du nom de domaine a acquise que dans le seul but de pouvoir demander l’enregistrement du nom de domaine lors de la première phase de la procédure d’enregistrement par étape et ainsi précéder d’autres personnes intéressées et donc en tout état de cause également des titulaires des droits de marques ?
Le 10 février 2010, l’avocat général, Madame Trstenjak Verica, a rendu son opinion, dont il ressort trois enseignements.
Premier enseignement : au titre de la question de l’existence d’un droit au sens de l’article 21 du paragraphe 1 du règlement 874/2004, l’avocat général considère qu’il incombe aux seules autorités administratives nationales d’invalider une marque ou de la déclarer nulle. Ainsi, pour l’avocat général, alors même qu’une marque devrait faire l’objet d’une procédure en vue d’obtenir sa déchéance ou sa nullité, tant qu’elle n’a pas fait l’objet d’une déclaration en ce sens, elle doit être considérée comme conférant un droit.
Deuxième enseignement : au sujet de l’existence d’un intérêt légitime, l’avocat général rappelle que la question de l’existence d’un droit et d’un intérêt légitime ne sont pas des questions cumulatives mais alternatives au sens du règlement 874/2004. En conséquence, pour l’avocat général, dans la mesure où un droit a été reconnu, il ne lui parait pas nécessaire d’examiner l’existence ou non d’un intérêt légitime à l’enregistrement du nom de domaine. Il reste, selon l’avocat général, que la simple déclaration d’intention d’utiliser un site internet ne suffit pas à rapporter preuve de l’existence d’un intérêt légitime en cas d’enregistrement de nom de domaine en période Sunrise.
Troisième enseignement : Enfin, concernant l’existence ou non d’une mauvaise foi de la part du titulaire du nom de domaine, l’avocat général considère qu’il convient de prendre en considération tous les facteurs de la cause, la mauvaise foi devant être appréciée de façon globale.
Pour l’avocat général, les facteurs suivants peuvent être considérés comme signe de mauvaise foi :
– le fait d’enregistrer une marque générique dans un état membre où celle-ci n’a pas de signification peut constituer un indice de mauvaise foi; lorsque cette marque est enregistrée dans le but d’être utilisée en période Sunrise ;
– le fait d’enregistrer une marque dans un pays où le titulaire n’a aucune intention de l’exploiter peut constituer un autre indice de mauvaise foi ;
– l’emploi d’une esperluette pour pouvoir enregistrer une marque générique est également un facteur de mauvaise foi ;
– enfin l’enregistrement en masse de marques génériques constitue également un indice de mauvaise foi.
Aux termes de l’opinion de l’avocat général, l’ensemble de ces facteurs serait de nature à caractériser l’existence d’un abus de droit et donc la mauvaise foi du titulaire du nom de domaine au moment de l’enregistrement du nom de domaine. Il convient désormais d’attendre la décision de la Cour de justice des communautés européennes afin de savoir si l’opinion de l’avocat général sera confirmée.
Aff. C-569/08, Conclusion de l’avocat général du 10 février 2010
(Mise en ligne Mars 2010)
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