La législation applicable aux fichiers de police a été profondément remaniée par la LOPPSI II, loi du 14 mars 2011. En effet, cette dernière a introduit, au Titre IV du Livre Ier du Code de procédure pénale, deux nouveaux chapitres II et III régissant quatre catégories de fichiers de police : les fichiers d’antécédents (CPP, art. 230-6 à 230-11), les fichiers d’analyse sérielle (CPP, art. 230-12 à 230-18), les fichiers des personnes recherchées (CPP, art. 230-19) et les logiciels de rapprochement judiciaire (CPP, art. 230-20 à 230-27).
Les fichiers d’antécédents sont les fichiers de police, qui ont fait l’objet du plus grand nombre de contestations devant les juridictions durant les cinq dernières années, et seront ainsi au centre de la présente analyse.
Le fichier de police « traitement des antécédents judiciaires »
La LOPPSI II (L. 2011-267 du 14-3-2011) a donné l’autorisation aux services de police et de gendarmerie de mettre en œuvre des applications automatisées d’informations nominatives recueillies à tous les stades de l’enquête. A l’origine, ils disposaient de deux fichiers distincts : le système de traitement des infractions constatées (STIC) pour la police et le système judiciaire de documentation et d’exploitation (JUDEX) pour la gendarmerie. Avec le décret n°2012-652 du 4 mai 2012, ces deux traitements ont été remplacés par un fichier commun aux deux forces de police : le traitement des antécédents judiciaires (TAJ). Il constitue aujourd’hui le seul fichier d’antécédents judiciaires.
Les informations contenues dans le « traitement des antécédents judiciaires »
L’article 230-6 du Code procédure pénale énonce que les fichiers d’antécédents ont pour finalité « de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs ». A cet effet, l’article 230-7 du Code de procédure pénale dispose qu’ils peuvent contenir :
- « des informations sur les personnes, sans limitation d’âge, à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission des infractions » ;
- « des informations sur les victimes de ces infractions. Ces dernières peuvent toutefois s’opposer à ce que les données à caractère personnel les concernant soient conservées dans le fichier dès lors que l’auteur des faits a été définitivement condamné » ;
- « des informations sur les personnes faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction pour recherche des causes de la mort […] ou […] d’une disparition ».
Les personnes habilitées à consulter le « traitement des antécédents judiciaires »
Les fichiers d’antécédents peuvent uniquement être consultés par « les personnels spécialement habilités des services de la police et de la gendarmerie nationale désignés à cet effet ainsi que les personnels spécialement habilités de l’Etat investis par la loi d’attributions de police judiciaire, notamment les agents des douanes » ou par les « magistrats du parquet » et les « magistrats instructeurs, pour les recherches relatives aux infractions dont ils sont saisis » (CPP, art. 230-10). La Cour d’appel administrative de Marseille a ainsi pu annuler un refus de carte professionnelle fondé sur une consultation du STIC [aujourd’hui le TAJ] opérée par des agents ne disposant pas de l’habilitation spéciale nécessaire (1).
Le contrôle du « traitement des antécédents judiciaires » prévu par la LOPPSI II
Afin de renforcer le contrôle des fichiers d’antécédents, le procureur de la République et un magistrat-référent disposent tous les deux de pouvoirs d’effacement, de rectification ou de maintien des données personnelles traitées dans les fichiers d’antécédents (CPP, art. 230-8 et 230-9). Lorsqu’un individu effectue une demande d’effacement ou de rectification de données contenues dans un fichier d’antécédents, le procureur de la République ou le magistrat doivent se prononcer sur les suites qu’il convient de donner à cette demande dans un délai d’un mois.
L’article 230-8 du Code de procédure pénale énonce des règles particulières relatives au maintien ou à l’effacement des données des fichiers de police en cas de décision de relaxe, d’acquittement, de non-lieu ou de classement sans suite. Tel qu’issu de la LOPPSI II, il prévoyait qu’en cas de décision ou de relaxe définitive, la personne concernée disposait d’un droit à l’effacement, sauf si le procureur en prescrivait le maintien. Il prévoyait également que les décisions de non-lieu et de classement sans suite motivées par une insuffisance de charges devaient faire l’objet d’une mention, sauf si le procureur de la République ordonnait l’effacement des données personnelles. Les autres décisions de classement sans suite devaient faire l’objet d’une mention, sans possibilité d’en demander l’effacement.
Fichiers de police : la condamnation de la France par la CEDH
Par l’arrêt Brunet c/ France du 18 septembre 2014 (2), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui consacre le droit au respect de la vie privée et familiale. La CEDH reproche, en effet, au droit français d’opérer une distinction entre les personnes relaxées ou acquittées qui disposent à ce titre d’un droit à l’effacement des fichiers de police, et celles ayant fait l’objet d’un classement sans suite et à qui ce droit est, en principe, refusé. Du point de vue européen, la seule distinction valable est celle entre les personnes condamnées, dont les données personnelles peuvent être conservées, et les personnes qui n’ont pas été condamnées, dont les informations ne doivent pas être conservées.
L’interprétation par le Conseil d’Etat de l’article 230-8 du Code de procédure pénale
A la suite de cette condamnation, le Conseil d’Etat, par un avis contentieux du 30 mars 2016 (3), réitère la règle de l’article 230-8 du Code de procédure pénale selon laquelle, lorsque la procédure a abouti à une décision de relaxe ou d’acquittement, le principe est l’effacement des données et l’exception, le maintien pour des raisons tenant à la finalité du fichier TAJ. Il rappelle également qu’en cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite pour insuffisance de charges, les données sont conservées dans les fichiers de police mais que le procureur a toutefois la possibilité d’ordonner leur effacement. Le véritable apport de cet arrêt tient au fait qu’il autorise l’effacement des données, y compris en cas de classement sans suite pour un autre motif. En effet, le Conseil d’Etat précise que, lorsque les faits à l’origine de l’enregistrement des données dont l’effacement est demandé ont fait l’objet d’un classement sans suite pour un autre motif que l’insuffisance de charges, les données sont assorties d’une mention et les dispositions de l’article 230-8 du Code de procédure pénale, si elles ne le prévoient pas expressément, ne font pas obstacle à ce que le procureur de la République ou le magistrat référent décide d’accueillir une demande d’effacement.
Dans ce même avis, le Conseil d’Etat ajoute que l’article 230-8 du Code de procédure pénale doit être interprété comme n’ouvrant la possibilité d’effacement que dans les cas où les poursuites pénales sont, pour quelque motif que ce soit, demeurées sans suite. Hors cette hypothèse, les données ne peuvent être effacées qu’à l’issue de la durée de conservation fixée par voie réglementaire et le procureur de la République ne peut alors que refuser une demande d’effacement avant ce terme.
La modification de l’article 230-8 du Code de procédure pénale par la loi du 3 juin 2016
Afin de tirer les conséquences de l’arrêt Brunet c/ France rendu par la CEDH et de traduire dans la loi l’interprétation du Conseil d’Etat, la loi n°2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, a modifié l’article 230-8 du Code de procédure pénale. Il dispose désormais qu’« en cas de décision de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien, auquel cas elle fait l’objet d’une mention » et que « les décisions de non-lieu et de classement sans suite font l’objet d’une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l’effacement des données personnelles ».
Le recours contre les décisions de l’autorité judiciaire en matière d’effacement ou de rectification
Dans un arrêt du 11 avril 2014, le Conseil d’Etat a déclaré que « les décisions en matière d’effacement ou de rectification prises par le procureur de la République ou par le magistrat [désigné à cet effet], qui ont pour objet la tenue à jour de ces fichiers de police et sont détachables d’une procédure judiciaire, constituent non pas des mesures d’administration judiciaire, mais des actes de gestion administrative du fichier ». Elles « peuvent, par suite, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif » (4). Ainsi, seul était prévu un recours devant les juridictions administratives.
Cependant, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 est récemment venue instituer un recours devant une juridiction de l’ordre judiciaire. L’article 230-8 al. 3 du Code de procédure pénale dispose ainsi que « les décisions du procureur de la République en matière d’effacement ou de rectification des données personnelles sont susceptibles de recours devant le président de la chambre de l’instruction ». De même, l’article 230-9 al. 4 du Code de procédure pénale prévoit que les décisions du magistrat référent « sont susceptibles de recours devant le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ».
Virginie Bensoussan-Brulé
Chloé Legris
Lexing Vie privée et Presse numérique
(1) CAA Marseille, 10-12-2013, n°12MA00228.
(2) CEDH, 18-9-2014, Brunet c/ France, n°21010/10.
(3) CE, 30-3-2016, n°395119.
(4) CE, 11-4-2014, n°360759.