Des critiques publiées sur un forum peuvent facilement dégénérées en infraction de presse.
C’est ce qu’illustre la décision du TGI de Paris du 24 juin 2015.
Entre le droit de libre critique et la diffamation : quelle sont les limites ? Dans un domaine où les internautes publiant des propos sur un forum bénéficient souvent d’une plus grande tolérance, au nom du droit de libre critique, de la part des juridictions du fond, l’ordonnance rendue le 24 juin 2015 par le président du Tribunal de grande instance de Paris à la particularité de non seulement faire preuve d’une certaine sévérité mais également d’esquisser la frontière entre ce qui relève de la libre critique, d’un côté, et de la diffamation, de l’autre.
L’espèce est classique. Un internaute, mécontent de la prestation d’une société lors de l’achat de sa voiture, fait part, en des termes peu amènes, de son courroux sur un forum spécialisé.
Emporté par son irritation, il y mêle plainte personnelle sur un forum – « Il y a presque un an que j’attends ma voiture, vous feriez mieux de me rembourser au lieu de continuer à vous moquer du monde !!!!! » – et allégations aventureuses sur les pratiques supposées de ladite société : « Personne n’est dupe des faux témoignages positifs postés », « Arrêtez (…) avec vos faux témoignages de gens contents », « Même les faux documents ne sont pas clean ha ! », « Et ce n’est pas en produisant un faux document ici que cela lavera votre malhonnêteté !!! ».
Quelles sont les règles qui régissent le délit de diffamation ? Saisi aux fins de suppression des propos litigieux du forum et d’octroi d’une provision, le juge des référés va, d’abord, accorder un soin particulier à rappeler les règles qui régissent le délit de diffamation, relevant notamment que « l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse » et que cette allégation « doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause ».
Partant, il va distinguer les considérations personnelles de l’internaute sur les prestations qu’il a reçues, qui relèvent du libre droit de critique quand bien même elles contiendraient des propos engageants, des imputations purement arbitraires visant « à induire en erreur le particulier qui souhaiterait se renseigner sur la réputation de la société » et qui, dès lors qu’elles allèguent d’un comportement moralement, voire pénalement répréhensible, constituent une diffamation.
Dans un second temps, le juge des référés va rechercher si le comportement de l’internaute sur le forum est à même de renverser la présomption de mauvaise foi qui pèse sur lui en matière de diffamation.
Or, fait intéressant, c’est sur la condition de l’absence de base factuelle suffisante, qui est habituellement un critère de bonne foi exclusif des journalistes qui ont, eux, l’obligation de mener une enquête sérieuse, que le juge des référés va écarter le bénéfice de la bonne foi au profit de l’internaute, estimant que les éléments sur lequel s’est appuyé ce dernier pour alléguer l’existence de faux avis positifs étaient manifestement insuffisants.
La tolérance à l’égard de l’internaute réapparaît, en revanche, au moment de la condamnation, celui-ci ayant été seulement condamné à payer un euro symbolique en réparation du préjudice moral engendré.
Virginie Bensoussan-Brulé
Julien Kahn
Lexing Droit presse et pénal numérique
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, art. 32.