La Cour de cassation a rappellé la relativité du principe d’autonomie des sociétés dans un groupe de sociétés.
Par un arrêt du 18 octobre 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation a réitéré sa position sur l’incidence de l’existence d’un groupe de sociétés en matière de responsabilité extracontractuelle d’une des entités du groupe (1).
Les faits litigieux
Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision commentée, l’autorité administrative indépendante chargée de la régulation des comportements économiques sur les marchés, à savoir l’Autorité de la concurrence, s’était saisie d’office de pratiques mises en œuvre par la filiale d’un groupe de sociétés.
Considérant que les agissements de la filiale étaient constitutifs de pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité de la concurrence avait infligé une amende importante à cette dernière mais également une amende (plus importante encore) à la société mère qui détenait près de 97 % du capital social de sa filiale en précisant que la société mère était tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale.
Contestant cette décision, la société mère a fait appel de cette sanction devant la Cour d’appel de Paris qui a rejeté son recours.
La société mère a donc formé un pourvoi devant la Cour de cassation qui a confirmé l’arrêt d’appel et rejeté le pourvoi.
Par cette décision de rejet, la Haute juridiction a confirmé, d’une part, qu’une société mère détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant enfreint les règles de concurrence était présumée exercer une influence déterminante sur cette dernière et, d’autre part, que la sanction prononcée contre la société mère pouvait être d’un montant supérieur à celui de sa filiale dès lors que la société mère ne bénéficiait pas de la procédure de non-contestation des griefs (2).
L’imputabilité de la faute de la filiale à la société mère
Cette décision de la Cour de cassation s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence tant européenne que nationale.
En effet, la Cour de justice de l’Union européenne (3) et la chambre commerciale de la Cour de cassation (4) ont déjà pu juger par le passé qu’il fallait faire peser une présomption simple de l’existence d’une influence déterminante de la société mère sur sa filiale dès lors que la participation capitalistique de la première était quasi-égale à 100 % du capital de la dernière.
Par l’édiction d’une présomption simple, il est donc possible pour la société mère de s’affranchir de cette présomption et, consécutivement, de s’exonérer de sa responsabilité, par la démonstration que sa filiale détermine de manière autonome son comportement sur le marché et que la société mère et sa filiale ne constituent pas une unité économique.
En l’espèce, les juges du fond ont pu relever que la société mère était une holding non opérationnelle assurant une direction financière en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe. De ce constat, la Cour de cassation a pu déduire que ces faits n’excluaient pas l’exercice, par une société mère, d’une influence déterminante sur ses filiales et que la simple non-immixtion de la holding dans les activités de sa filiale ne saurait opérer un renversement de cette présomption.
Par ailleurs, d’autres indices ont pu être écartés, considérés comme non pertinents pour en déduire une autonomie d’action sur le marché de la filiale et renverser ainsi la charge de la preuve notamment :
- la diversité des activités ;
- la configuration du groupe ;
- l’éloignement géographique de la société mère avec sa filiale ;
- ou encore l’existence d’une propre direction locale de la filiale et de ses propres moyens,
alors que les juges du fond pouvaient relever, dans un même temps, l’absence de service juridique propre à la filiale et le recours par cette dernière aux services de la société mère.
Principe d’autonomie des sociétés dans un groupe de sociétés
On le voit, cette jurisprudence, bien que pragmatique, tord quelque peu le principe de l’autonomie des personnes morales selon lequel une société ne saurait être tenue des dettes d’une autre société du même groupe.
En vertu de ce principe d’indépendance des sociétés appartenant au même groupe, les sociétés ont une personnalité juridique distincte et leurs patrimoines ne sauraient se confondre.
Toutefois, la jurisprudence admet classiquement deux limites principales de nature à créer une porosité entre les patrimoines, à savoir : la théorie de l’apparence et l’immixtion dans la gestion.
Le groupe de sociétés vient apporter une troisième limite au principe de l’autonomie des personnes morales, qui tend à se recouper avec l’immixtion dans la gestion, à savoir l’unité économique et juridique des sociétés mère et filiale.
Ainsi, lorsque la société mère détient la quasi-totalité des titres de sa filiale, la société mère et sa filiale sont présumées être une entité commune responsable personnellement des agissements délictueux et les personnes morales composant cette entité, comme solidairement responsables des faits sanctionnés.
Nous noterons juste que le principe d’indépendance des sociétés appartenant au même groupe est restauré au stade du bénéfice de la réduction des sanctions dans la mesure où la Cour de cassation a estimé que la société mère qui s’était vu infliger une sanction pécuniaire d’un montant supérieur à celui de sa filiale pour avoir contesté sa participation aux pratiques litigieuses ne pouvait bénéficier, contrairement à sa filiale, de la réduction de l’amende décidée par l’Autorité de la concurrence.
Pierre-Yves Fagot
Maxime Guinot
Lexing Droit de l’entreprise
(1) Cass. com. 18-10-2017, n°16-19.120.
(2) Cette procédure, désormais remplacée par la procédure de transaction introduite dans le Code de commerce à l’article L. 464-2 III par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi « Macron » du 6 août 2015, permettait aux entreprises qui renonçaient à contester les griefs notifiés par les services d’instruction de l’Autorité de la concurrence de se voir proposer par le rapporteur général de l’Autorité une transaction fixant un pourcentage de réduction de sanction.
(3) CJUE, 10-4-2014 aff. C-247/11 et C-253/11, Areva SA e.a. contre Commission européenne.
(4) Cass. com. 18-2-2014, n°12-27.643 concernant l’affaire dite des Monuments historiques.