L’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers suisse (la FINMA) vient de publier un « guide pratique » des Initial Coin Offering (ICO) (1).
Rappel du fonctionnement d’une ICO
Une ICO constitue une levée de fonds pour un projet lié à la technologie blockchain auquel on peut participer en investissant en cryptomonnaies (généralement des bitcoins ou des éthers).
Ainsi, en échange par exemple d’un bitcoin (dont le cours au 21 octobre 2018 est de 8.600 euros), un investisseur recevra 300 tokens.
Ce token constitue une unité de valeur associée au projet. Pour faire un parallèle, c’est comme si pour 8.600 euros je recevais 300 actions de la société X mais que ces 300 actions pouvaient me permettre de faire plus que de simplement suivre son cours et de l’échanger sur des plateformes de trading.
La catégorisation des tokens
Le guide pratique de la FINMA distingue trois catégories de tokens, ce qui permet de cerner avec plus de précision l’utilité de ce « bien meuble » difficilement identifiable.
Il existerait donc trois catégories de tokens :
- le jeton de paiement : « la catégorie « Jetons de paiement » (synonyme de « cryptomonnaies » pures) inclut les jetons qui sont acceptés comme moyen de paiement pour l’achat de marchandises ou de services dans les faits ou selon l’intention de l’organisateur ou qui doivent servir à la transmission de fonds et de valeurs. Les cryptomonnaies ne confèrent aucun droit à l’égard d’un émetteur » ;
- le jeton d’utilité : la FINMA qualifie de « jetons d’utilité » les jetons censés donner accès à un usage ou à un service numérique et qui s’appuient sur l’utilisation d’une infrastructure de type blockchain ;
- le jeton d’investissement : la catégorie des « jetons d’investissement » regroupe les jetons qui représentent des valeurs patrimoniales. De tels jetons peuvent notamment représenter une créance au sens du droit des obligations envers l’émetteur ou un droit de sociétariat dans le sens du droit des sociétés. Des parts des revenus futurs d’une entreprise ou des flux de capitaux futurs sont par exemple promis aux détenteurs de jetons d’investissement. Sous l’angle de la fonction économique, le jeton représente ainsi notamment une action, une obligation ou un instrument financier dérivé. La catégorie des jetons d’investissement peut également inclure les jetons censés rendre négociables sur la blockchain des objets de valeur physiques.
Il faut préciser que ces trois catégories ne sont pas imperméables et qu’un token rentre généralement dans les trois catégories.
Prenons un exemple : une société veut créer un projet d’application en ligne de pari utilisant la technologie blockchain (laquelle permettra par exemple d’horodater les gains et pertes réalisés par chaque joueur ainsi que le résultat des compétitions sportives). Cette société organise une ICO pour permettre à son projet de voir le jour et émet des tokens lesquels seront distribués aux investisseurs.
A la date de clôture de l’ICO, les tokens seront distribués aux investisseurs.
Ce token a donc :
- une utilité : parier sur les évènements sportifs via l’application. Il s’analyse donc en premier lieu comme un « jeton d’utilité » ;
- un prix (ex : 0.0001 bitcoin, laquelle évolue par ailleurs dans la mesure où le prix des jetons est négociable sur des plateformes d’échanges de cryptomonnaies). Si son utilité première est de permettre de parier sur des évènements sportifs via l’application, il n’est pas exclu que certains commerçants acceptent de se faire payer avec ce jeton (en espérant par exemple que celui-ci prenne de la valeur, ou au regard du fait que la transmission de ce jeton présente des avantages que d’autres jetons n’ont pas). A ce titre, ce jeton rentrera dans la catégorie des « jetons de paiements » ;
- une valeur dont le cours varie (car il est échangeable sur les plateformes d’échanges de cryptomonnaies) et peut impliquer des « parts des revenus futurs ». En effet, pour la grande majorité de ceux qui investissent dans les ICO, l’objectif est avant tout d’acheter un jeton 0.0001 bitcoin en espérant qu’il en vaille 0.001 à la fin de l’année. A ce titre ce jeton présente, au moins pour certains, les caractéristiques du « jeton d’investissement ».
Qualification de « valeur mobilière »
L’interrogation centrale de la FINMA est de savoir si les tokens peuvent être considérés comme des « valeurs mobilières ».
En droit suisse, les valeurs mobilières sont des « papiers-valeurs, des droits-valeurs, des dérivés et des titres intermédiés qui sont standardisés et susceptibles d’être diffusés en grand nombre sur le marché » .
En droit français, aux termes d’une combinaison des articles L.228-1 du Code de commerce et des articles L.211-2 et suivants du Code monétaire et financier, les valeurs mobilières peuvent se définir comme des titres émis par des personnes morales, publiques ou privées, transmissibles par inscription en compte ou tradition, qui confèrent des droits identiques par catégorie et donnent accès, directement ou indirectement, à une quotité du capital de la personne morale émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine.
Pour la FINMA, seuls les « jetons d’investissement » peuvent être associés à des « valeurs mobilières » s’ils représentent un droit-valeur et que les jetons sont standardisés et susceptibles d’être diffusés en grand nombre sur le marché. La qualité de « valeurs mobilières » est donc refusée :
- aux jetons de paiement, au motif que « leur fonction économique ne présente aucune analogie avec les valeurs mobilières traditionnelles » ;
- aux jetons d’utilité, au motif que ceux-ci « confèrent uniquement un droit d’accès à un usage ou à un service numériques » et que « la référence au marché des capitaux typique pour les valeurs mobilières fait défaut ».
Cette différence de traitement implique donc que le statut de « valeur mobilière » sera conféré au token au regard de sa fonction.
On peut donc légitimement s’interroger sur le statut d’un token entrant dans les trois catégories. Cela semble induire qu’un même token puisse être une « valeur mobilière » mais également autre chose : un bien meuble ? une monnaie numérique ? un droit d’utilisation ?
Le fait de traiter les tokens d’investissement comme des « valeurs mobilières » entrainera un certain nombre d’obligations pour les émetteurs comme celle d’établir un prospectus d’émission, conformément à l’article 652a du Code (suisse) des obligations lequel contiendra un certain nombre d’information de nature à éclairer l’investisseur.
Actuellement, les ICO se réfèrent généralement, de façon volontaire, à des « white papers » qui fournissent un certain nombre d’informations sur le projet (technologie utilisée, composition de l’équipe de développeurs etc.).
Soumission des tokens à la loi sur le blanchiment d’argent
Selon la FINMA :
« L’émission de jetons de paiement représente une émission de moyens de paiements assujettie, dès lors que les jetons peuvent être techniquement transmis sur une infrastructure de type blockchain. Cela peut être le cas dès la date de l’ICO ou ultérieurement ».
Elle exclut l’applicabilité de la loi sur le blanchiment d’argent aux jetons d’utilité qui permettent simplement d’utiliser un service « à des fins extérieures au service financier » et ne se prononce pas sur les tokens d’investissement.
Dans la mesure où un même token peut avoir une utilité, une fonction de paiement et d’investissement, il semble délicat, en pratique, d’opérer une telle différence de traitement.
Marie-Adélaïde de Montlivault-Jacquot
Pierre Guynot de Boismenu
Lexing Contentieux informatique
(1) Guide pratique ICO pour les questions d’assujettissement concernant les initial coin offerings (ICO), Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) 16-2-2018 .
(2) Panorama des enjeux juridiques de la blockchain, Blockchain Partner 2017.